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LUDWIG VAN BEETHOVEN

présageant le changement subtil qui va s’opérer d’un style à l’autre

Si la deuxième manière, séparée de la première par un monde, celui de l’expression, se laisse à peine deviner dans le largo de l’op. 10, le passage de cette seconde époque là la troisième est bien plus tranché encore. Il n’y a presque plus rien de commun, comme esprit, entre les sonates op. 101 et 102, qui ouvrent cette dernière période et les œuvres similaires, même avancées, de la précédente, l’op. 81 et 90, par exemple. Seule, une inspiration de tendre et absolue beauté, témoignage ému de sympathie pour une grande douleur : le Chant élégiaque pour quatre voix et instruments à cordes, sur la mort de la baronne Pasqualati, fait déjà pressentir les religieuses effusions de la Messe en ré.

Qu’y a-t-il donc de modifié dans l’état d’esprit de Beethoven pour que sa production artistique devienne tout à coup, dès 1815, aussi différente de ce qu’elle était en 1814 ? À quel événement attribuer ce changement soudain ? — En vain tenterait-on de rattacher ce nouveau style à une cause extérieure quelconque. La source de l’évolution qui nous occupe ne doit être recherchée que dans l’âme du poète ; c’est de son cœur qu’elle jaillit pour aller abreuver d’ondes vivifiantes tous les cœurs assoiffés d’idéal. Nous n’assistons plus, comme dans la deuxième époque, à une extériorisation de sentiments, mais, au contraire, au travail tout intérieur d’une pensée de génie sur elle-même, dans une âme fermée aux bruits et aux agitations du dehors.

C’est pourquoi nous avons nommé ces douze dernières années de la vie du héros, période de réflexion.

Essayons de préciser en quelques mots la situation