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d’hôte des hôtels que des pommes, de pauvres petites pommes, des pommes exténuées, des pommes qui ont poussé dans de tristes jardins, sous les remparts, entre quatre soldats, sans soleil.

Ces pommes forment tout le dessert des Houblonkerkois.

Bref, chaque soir, à huit heures moins dix, j’assistais au tableau déchirant de la lutte, hélas ! bien inutile, qu’entreprenait, pour échapper à son sort fatal, une petite pomme distinguée dans la foule par un magistrat amateur.

La malheureuse petite pomme, rougeaude comme une auvergnate le dimanche, bêtasse, gauche, timide jusqu’à la stupidité, se blottissait de son mieux parmi ses camarades de la coupe, espérant se confondre dans leurs rangs.

Peines perdues ! comme disait Shakespeare.

À huit heures moins dix, montre en main, le magistrat, les mandibules encore tout imprégnées de fromage de Maroilles, jetait un coup d’œil de grenouille experte dans la coupe où frémissait la pomme un peu plus colorée que les autres, et dont la peau luisait comme mouillée d’une sueur d’agonie.

C’en était fait d’elle !

Le magistrat, d’une main sûre, l’attirait à lui, — oh ! inutile de résister ! — et, tel un jongleur, de droite à gauche et de gauche à droite, faisait passer