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cœurs sont de nos jours autrement vives qu’au temps du Vert Galant ; et toutes ces belles dames qui font les renchéries et ne veulent point paraître à ma Cour, si je lâchais les lions, elles en verraient de cruelles ! C’est moi qui les protège tous, et je me laisserais braver par un paladin qui ne comprend seulement rien à l’œuvre que j’accomplis. Ah ! M. de Chateaubriand ne se plaît pas dans la France que je lui ai faite. Eh bien, qu’il aille vivre ailleurs !… »

Cependant ces sorties dont l’écho n’allait pas assez loin ne suffisaient pas à son dessein. Au dimanche suivant, quand l’Empereur sortit de son cabinet pour se rendre à la messe, avec la famille impériale, son regard parut chercher quelqu’un parmi la foule de ceux qui attendaient pour le saluer au passage. Il se fixa bientôt sur M. de Fontanes que ce regard parut pétrifier, et qui, plus mort que vif, semblait vouloir entrer tout entier dans la muraille contre laquelle il cherchait à s’effacer. L’Empereur s’avança doucement vers lui, avec ce dandinement d’une jambe sur l’autre qui lui était particulier. Tous les yeux étaient grands ouverts, toutes les oreilles tendues ; on pressentait la tempête. Arrivé devant M. de Fontanes, dont les genoux tremblaient, il s’arrêta, haussa par trois fois les épaules, aussi lentement et aussi haut qu’il les put lever : « Grands enfants ! Pauvre France ! » dit-il à demi-voix ; puis il reprit son chemin.