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du gouvernement français à Anvers. Il y était désigné sous le nom de Louis Hamsen, négociant, domicilié à Altona. M. d’Argout qui délivrait le passe-port, le bourgeois d’Altona qui le signait comme répondant de mon père, savaient parfaitement à quoi s’en tenir sur son compte ; ils firent semblant de ne pas s’en douter. D’Anvers à Paris, mon père ne cessa de tout regarder sur la route avec la plus avide curiosité ; il ne pouvait en croire ses yeux, tant il voyait d’ordre, de sécurité et de prospérité déjà renaissante dans cette France que, d’après la version des journaux anglais, il s’attendait à retrouver en proie à d’affreux désordres et aux plus vives souffrances. Son étonnement était visiblement partagé par un monsieur assis à côté de lui, dans la voiture publique, officier suédois, suivant son passeport, mais que, à son accent et à sa tournure, il était impossible de ne pas reconnaître pour un Français. Telle était cependant l’appréhension extrême des émigrés qui mettaient à nouveau le pied sur le sol de la patrie, et la méfiance réciproque, fruit de leurs longs malheurs, que mon père et son compagnon de voyage n’eurent garde d’échanger entre eux un seul mot, un seul regard d’intelligence, quoiqu’ils se fussent bien devinés l’un l’autre. Malgré la connivence évidente de tout le monde, et les allusions bienveillantes qui leur étaient sans cesse adressées, ils se crurent obligés de jouer leurs personnages jusques à Paris dans la cour