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alors fort à la mode. Aux yeux d’un certain monde, rester en France avec la famille royale afin de partager ses dangers et pour la défendre, passait pour une faiblesse, presque pour une trahison. Les rares amis dont mon père eut le temps de prendre congé, les femmes surtout, sans en excepter ses sœurs et sa mère, le félicitèrent de son départ, comme d’un joyeux événement. On lui dit adieu comme à quelqu’un qui devait revenir le lendemain. Sans en rien laisser voir, mon père comprenait la solennité de cette séparation. Il avait comme le pressentiment de ses graves conséquences. À l’expression inaccoutumée de sa physionomie, à un serrement de main plus affectueux qu’il ne l’avait espéré, il crut voir que son père ne s’y trompait pas non plus. Le passe-port, signé par M. de Montmorin, était pour Aix-la-Chapelle. Mon père s’y rendit d’abord, puis à l’armée des Émigrés.

Les émigrés de 91 n’étaient pas bien reçus par ceux qui les avaient précédés de l’autre côté de la frontière, mais mon père, recommandé au général de Vaubecourt et aussitôt employé comme son aide de camp, trouvait dans ses relations antérieures avec les Princes, frères du Roi, et en particulier avec le jeune duc d’Enghien, un suffisant appui. Des allusions désobligeantes vertement repoussées, et ce qu’on appelait alors une affaire heureuse avec un officier plus âgé que lui, firent le reste. En peu de temps mon père s’était acquis à