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et craignant extrêmement de déplaire à qui que ce soit, voire même et surtout à ses gens ; d’ailleurs, personne de règle et d’habitude avant tout. Quelque temps avant son veuvage, elle était devenue aveugle ; elle supporta ce malheur avec une admirable résignation, sans s’en plaindre, évitant soigneusement d’en parler et qu’on lui en parlât. Il était absolument interdit de faire quelque allusion que ce fût à son infirmité. Ma grand’mère quittait régulièrement, le 1er mai, son hôtel de la rue Saint-Dominique, et restait invariablement jusqu’au 26 novembre à Gurcy avec son fils, ses filles, ses gendres, leurs enfants et petits-enfants. C’était une vie de famille patriarcale qui nous a laissé à tous de précieux souvenirs. Les étrangers étaient frappés du mélange de liberté et de régularité qui régnait dans cet intérieur. Les enfants de ma grand’mère comme ses petits-enfants pouvaient y faire tout ce que bon leur semblait ; mais rien au monde n’aurait fait retarder d’une minute l’heure des repas. Je me souviens qu’au moment du dîner qui avait lieu à 4 heures et qui fut plus tard à grand’peine, sur les instances de la famille, remis à 4 heures 1/2, puis à 5 heures, un marmiton allait, à l’avance, décrocher la corde de la cloche et la tenait en main, attendant, pour sonner, le premier coup de l’horloge. Cette régularité s’étendait à toutes choses ; les promenades, les divertissements, la conversation de ma grand’mère étaient parfaitement uniformes. Elle avait