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l’enfant et quelques louis chez un pharmacien de la rue du Bac, en lui recommandant d’en prendre soin.

Ainsi échappé aux massacres du 10 août, mon grand-père passa à Gurcy les premiers moments de la Révolution. En 1794 il fut, ainsi que sa femme et ses trois filles, détenu dans le couvent des Jacobins de Provins, érigé en maison d’arrêt pour les suspects. La chute de Robespierre l’en fit sortir.

Pendant tout le temps que durèrent la Terreur et le séquestre de ses biens, mon grand-père n’eut qu’à se louer des habitants du pays. On continua à lui montrer tout le respect et tous les égards que le temps comportait. De riches paysans des villages environnants apportaient de temps en temps du pain et des provisions de toute nature au château ; je crois même qu’ils offraient de prêter de l’argent en cachette à mon grand-père. « Tout cela ne durera pas, monsieur le comte, disaient ces braves gens ; vous redeviendrez un jour maître de votre bien, comme nous le sommes encore du nôtre, et vous nous rendrez cela. » Nous nous sommes toujours appliqués, mon père et moi, à prouver aux descendants de ces familles que nous n’avions pas oublié ces bons offices et nos relations avec eux sont restées très-cordiales.

Mon grand-père, sorti de prison, vécut toujours régulièrement, six mois chez lui à Paris et six mois à Gurcy, entouré de sa famille et de ses vieux serviteurs,