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LE ROI

les dix faubourgs parisiens, et s’en empara. Lorsque ces dix portes furent sous son canon, le moindre brin de paille n’y put entrer : régna la famine, et Paris eut la gale aux dents. Citadelle d’Espagnols, de Wallons, de Napolitains et d’une foule de roitelets tyrans, la ville bientôt ne fut plus qu’une plaie. Il sembla que Monsieur Saint Denis et Madame Sainte Geneviève, patrons de France, l’avaient abandonnée pour toujours. Paris, ayant faim, mangea de tout ; quand il n’eut plus rien à manger, il se mangea. Mais un homme nu ne peut s’habiller d’un homme nu ; le désordre, l’anarchie régnèrent : Hôtel de Ville vassal, Sorbonne déshonorée, princes et pairs, grands noms à litière « pour les chevaux de Messieurs d’Espagne et de Guise ». Pour subsister, on vendit meubles et vaisselles ; les chambres « tant bien garnies » furent dépouillées ; au fromage suisse réduits, les Parisiens blêmirent ; qu’importe ! au ventre tout entre on fit banquets de rats, réjouissances d’herbes crues, festins de chiens ; somptueux qui avait sa miche d’avoine et sa bouillie de son. La ville riait encore ; quand Paris pleurera le ciel tombera. Des charognes barraient les seuils, les femmes passaient dessus. Chaque Parisien eut six aunes de boyaux vides, et il sembla aux ventres que le diable avait cassé les mâchoires. Ne trouvant plus rien au logis, les épouses, moins stoïques, se révoltèrent. Un dicton affirmait que leurs cerveaux étaient « de crème de singe et de foie de renard », la douleur les fit fermenter.