Page:D’Esparbès - Le Roi (1910).djvu/338

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
318
LE ROI

avaient passé la grande Eau racontaient l’aisance du fermier anglais « qui mangeait de bon bœuf, buvait bonne bière en tasse d’argent et s’habillait de drap le jour des foires ». (Il soupira) Bien loin d’être au niveau du peuple voisin, ce qu’on appelait le « plat pays » agonisait silencieusement, défertilisé par le galop des reîtres, appauvri par les excès des gens d’armes, l’avarice des usuriers, la rapine des juges. Tout le mal s’accumulait : entraves au commerce des grains, mauvaises récoltes, famine, peste ; et lassée par tous ces fléaux, la chanson du paysan de France, de gaillarde qu’elle était jadis, était devenue basse, peureuse, comme le cri court du grillon tapi dans son gite. (La tête du roi, pesante, eflleurait le cou du vieux cheval, et le vieux cheval de la ferme, toujours, marchait de son pas puissant et régulier, comme va le bœuf au travail) L’homme de la terre, pensait le roi, est donc celui qui le plus souffre. Cette idée le pencha plus bas. En ce cerveau d’unitaire dont le mécanisme ramenait toutes choses à leur expression la plus simple, la France paysanne entière aux millions de vies gémissantes s’agrégea en un type unique ; le Peuple soudain lui apparut : ébauche humaine, ouvrier du champ tel qu’il le devinait, une sorte de Turlupin souffreteux, habillé de toile « comme un moulin à vent », courbé sur sa houe et chancelant contre la bise, esprit court muré entre son berceau et sa tombe, n’ayant que des souvenirs sans avenir, homme vite vieillard et toujours enfant, qui croyait aux fées, aux