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LE ROI

— On vous a reconnu, sire !

À ces mots, le roi se sentit mal aise. Allait-il, après tant d’efforts, quinze ans de lutte, expirer dans le ciel comme un saint d’église, sous le coup d’un boulet sans gloire, en jaquette de camp et le glaive inerte. Il rougit :

— Tous les diables ! voici venue la malheure ! À main droite, compagnons, n’est rien qui puisse nous aider, à main gauche non plus. (Il baissa la tête) En dessous de nous, l’escalier qui conduit au sol est ruiné par la canonnade, et les pierres détruites obstruent la porte de la tour qui va dans l’église (Un sang blanc, peu à peu, recouvrait la face de Rosny) ; il ne reste pour nous sauver, dit le Gascon, que la grosse corde du sonneur, mais à cause de l’obstacle en pierres, nous faudrait la jeter dehors (un boulet fit trembler le clocher), et nous découvrir en nous enfuyant le long d’elle, ce qu’apercevant aussitôt le fâcheux canon tirerait sur nous à coup sûr.

Ayant épuisé les chances de salut à droite et à gauche, derrière et devant lui et sous lui, le roi regarda le coq du clocher…

Plus profonde que l’épouvante, les boulets, le gouffre et la mort, une campagnarde émotion, à cette vue, saisit l’âme du Béarnais. S’il n’est pas mensonge qu’en l’esprit des hommes en danger la mémoire au dernier moment dévide ses plus doux souvenirs, ce terrien plutôt « roi des fermes » que roi de France dut apercevoir autour du sonneur d’aurore les chantants paysages qu’il évoquait.