Page:D’Esparbès - Le Roi (1910).djvu/226

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
206
LE ROI

-… la Saint-Luc avant-hier, murmura un homme, les semailles, sire…

Etranges paroles. Le roi regarda le soldat ; il s’essuyait le sang du visage et souriait.

— Explique, compagnon. Pour vous être dévoués si bien à l’armée, il faut, je le redis, qu’une cause noble vous ait tous piqués sur le point d’honneur… Laquelle ?

Il sembla au roi qu’un rais de lumière, aérien, s’envolait de ces yeux candides et joignait le cœur de chacun, par le souvenir, à son modeste hameau ; et l’homme, souriant toujours, balbutia ; — Sire, c’était la fête dans nos villages.

À ces mots, qui n’avaient pour eux aucun sens, les gentilshommes chuchotèrent, mais le roi debout imposa silence. Avant de congédier ces soldats, il toucha l’épaule de chacun, familièrement, d’une caresse qui les enchantait ; — et lui seul, roi-paysan, comprit ces exilés des fermes qui, d’instinct, pendant que leurs familles, là-bas, autour des feux de chenevottes, s’égayaient en mangeant la poule, avaient à leur manière célébré la fête natale, s’étaient distingués au combat dans la naïve croyance que les vieilles et les petits, à travers l’espace, les reconnaissaient et les acclamaient, et qui, tous, orgueilleux seulement d’avoir une bataille à dire aux veillées, n’avaient point voulu de leur double part en argent, parce qu’ils avaient eu leur part de réjouissance, c’est-à-dire leur part de gloire… c’est-à-dire leur part de mort.