étaient seuls installés. Rien n’y manquait la chaine verticale comme une immense harpe de fils blancs, les bâtons de croisure, et le peigne d’ivoire qui devait servir à tasser, puis à égaliser le tissu. Autour de ces trois métiers, épars dans la grande salle, mille pelotons de laine gisaient en multicolores tas rouges, bleus, vermeils ; il y en avait de dorés, mais il y en avait aussi de noirs. Il regarda ses compagnons, qui étaient graves, et reporta, frissonnant, ses yeux sur les trois métiers ; alors, il y vit des choses nouvelles.
À travers chaque trame, derrière les fils tendus, régnait un visage. Trois ombres, trois spectres féminins aux cheveux grisâtres, aux traits troubles, aux regards droits et froids, aux fronts impénétrables et aux lèvres closes occupaient les trois métiers vierges. Immobiles comme l’attente, ces femmes avaient une main levée sur le bâton de croisure, l’autre inerte, et regardaient, tragiques, par delà le prince éperdu, l’Invisible.
On n’eût pu les reconnaître, on n’eût pu aussi les nommer ; elles manquaient de réel visage et n’avaient point de patrie. Elles venaient d’on ne savait où, de loin, de derrière ce qui est loin. Peut-être avaient-elles tissé dans les temps anciens les histoires d’Andromède et d’Amione, d’Artapherne assiégeant Erétrie, de Xercès et des Thermopyles et d’Athos percé, peut-être les avait-on vu poser l’écarlate à Jérusalem sur le voile du Temple emporté par Antiochus à Olympie. Indistinctes, rayées par les longs fils du métier, au-