— Rêve de liberté. Individualisme des anciens Germains, folies !
— J’imagine, dit le secrétaire, le pays composé d’une foule d’hommes puissants et seuls.
— Et moi, dit d’Aubigné reprenant la phrase de Rosny, à votre place, sire, je voudrais à la France un groupe de familles puissantes et seules.
— Le vieux sol des Gaules, rêva le prince : des bandes inquiètes, de petites sociétés rivales les unes des autres, et qui ne s’unissaient qu’aux feux allumés par la main des brenns, lorsque l’étranger menaçait…
— Vous me prenez trop à ras, dit le poète ; non point un amas de petites familles, mais un groupe de provinces qui auraient chacune sa vie propre, et ne voisineraient que des coudes.
— Ce sont grands malheurs de France que tu nous contes là, d’Aubigné. Fédéralisme, c’est-à-dire morcellement, broiement de la patrie, les pouvoirs multipliés, mille seigneurs chefs, exploitation des faibles, rivalités haineuses plus terribles que dans l’orgueilleux système de Rosny, lequel au moins ne considérait que l’homme.
— Un homme ne se suffit pas, bon ; mais une province se soutient elle-même.
— Ni un homme ni une province ! s’impatienta le Gascon. Et puisqu’il faut faire ici ma partie, j’en vais dire enfin ma râtelée. L’arrosoir !
On lui passa le cruchon. Il but un verre de vin du Lot, rebroussa sa barbe soyeuse contre son grand nez, se leva et dit :