Page:D’Esparbès - Le Roi (1910).djvu/110

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
90
LE ROI

fendre avec l’Evangile contre des épées et des haches, démence ! (Son cheval piaffa sur un mort ; une boue rouge creva d’un ventre, souilla Henri) Ce sang qui nous entoure, sire, lui seul l’a versé puisqu’il a permis qu’on nous le prenne !

Ces emportements lyriques choquaient le prince. Gêné, il regarda les morts :

— Antoine de Marafin…

— … sieur de Guerchy, dit d’Aubigné ; loyal homme, son cœur n’était pas vilain ni ingrat.

Ils marchaient toujours. Du sang dégorgeant d’entre les pavés, le long des ruisseaux, la mort devant, derrière, des cadavres blêmes au rire frappé court, des os cassés, des cervelles boueuses, des regards pourris, des mains pointues, un enchevêtrement de têtes sous des bottes et des couteaux clairs dans des plaies ; tant de morts, tant de frères aimés, gisants. Une écluse de dégoût barra le cœur du roi de Navarre, on y eût enfoncé la dague qu’il n’eut pas saigné.


Il n’avait pu sortir du Louvre, que sur le frison d’un garde, bête précautionneuse qui soufflait le long des dépouilles comme si elle eût pensé les reconnaître. Le roi qu’impatientait sa lenteur inspecta la bouche, la selle, et comme il observait les sabots, il vit, pendu par un fil de cuivre à l’arçon, un chapelet de boules noires que le maître du cheval, soldat fanatique et pauvre, avait dû tailler au poignard. Faite pour des doigts qui maniaient la pique, cette « patenôtre » était