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ſavoir s’il ne peut pas convenir à tout Homme, y compris l’Ame auſſi-bien que le Corps, de dormir ſans avoir aucun Songe, c’eſt une Queſtion qui vaut la Peine d’être éxaminée par un Homme qui veille. Car, il n’eſt pas aiſé de concevoir, qu’une Choſe puiſſe penſer, & ne point ſentir qu’elle penſe. Que ſi l’Ame penſe dans un Homme qui dort, ſans, en avoir une Perception actuelle, je demande, ſi, pendant qu’elle penſe de cette Maniere, elle ſent du Plaiſir ou de la Douleur, ſi elle eſt capable de Félicité ou de Miſere ? Pour l’Homme, je ſuis bien aſſuré qu’il n’en eſt pas plus capable dans ce Tems-là, que le Lit ou la Terre où il eſt couché. Car, d’être malheureux ou heureux ſans en avoir aucun Sentiment, c’eſt une Choſe qui me paroit tout-à-fait incroïable. Que ſi l’on dit qu’il peut être, que, tandis que le Corps eſt accablé de Sommeil, l’Ame a ſes Penſées, ſes Sentimens, ſes Plaiſirs, ſes Peines, ſéparément & en elle-même, ſans que l’Homme ſans apperçoive & y prenne aucune part : il eſt certain, que Socrate dormant, & Socrate éveillé, n’eſt pas la même Perſonne, & que l’Ame de Socrate lorſqu’il dort, & Socrate qui eſt un Homme compoſé de Corps & d’Ame lorſqu’il vielle, ſont deux Perſonnes ; parceque So-