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N’eſt-il pas cent fois plus ſage, plus glorieux, & plus digne d’un Philoſophe, d’avouër qu’on ignore ce qu’on ne connoît pas, que de vouloir donner des Mots pour des Raiſons ? Combien Lucrece eſt-il plus naturel qu’Ariſtote, &, par conſéquent, plus digne d’Eſtime ? Il avoue, qu’on ignore la Nature de l’Ame, & qu’on ne peut pénétrer ſi elle naît avec le Corps, ſi elle meurt avec lui[1], où ſi elle paſſe dans d’autres ſelon le Siſtême de quelques Philoſophes qui admetroient la Métempſicoſe[2].

Nous ſerions encore aujourd’hui, Madame, dans la même Incertitude que les Anciens, ſi la Révélation n’avoit déterminé notre Croïance. Mais comme, en fixant nos Doutes, elle ne les éclaircit pas, je vais vous dire les Raiſons réciproques ſur leſquelles fondent

  1. Ignoratur enim quæ ſit Natura Anime,
    Nata ſit, an contra Naſcentibus inſinuetur,
    Et ſimul intereat nobis cum Morte dirempta,
    An Tenebras Orci viſat, vaſtaſque Lacunas
    An Pecudes alias, divinitùs inſinuet ſe.

    Lucretius de Rerum Naturâ, Libr. I, Verſ. 113 & ſeqq.
  2. Ipse ego, nam memini, Trojani Tempore Belli phanthonides Euphorbus eram.
    Ovid. Metam. Libr. XV, Verſ. 160.