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obligé de ſouffrir par d’autres Hommes les Traittemens les plus cruels. Il eſt des Souverains en Afrique & en Aſie, qui trafiquent de leurs Sujets comme un Particulier trafique de Chevaux & de Moutons. On en a vû en Europe, & dans les Roïaumes & les Empires les plus policés, ſe nourrir du Sang de leurs Sujets, & ſe deſaltérer de leurs Larmes. Qu’on regarde combien des Maux n’ont point cauſé les Nérons, les Caligula, & tant d’autres Montres. Mais, ſans aller chercher des Malheurs hors de l’Homme même, de combien de Maux n’eſt-il point accablé par la Nature ; les Maladies aigues, celle de Langueur, la Faim, la Soif, la Pauvreté ? Spinoſa croïoit, qu’il étoit impoſſible, qu’une Créature auſſi infortunée fût l’Ouvrage d’un Principe tout bon. Si l’Homme, diſoit ce Philoſophe, eſt émané d’un Principe ſouverainement bon, peut-il être mauvais ? Comment la ſouveraine Bonté peut-elle produire une Créature malheureuſe, & la ſouveraine Sainteté une Créature criminelle ? On répondra peut-être, que l’Homme a reçu de Dieu un État heureux ; mais, qu’étant devenu méchant, il a mérité que Dieu le punît, & que la Punition émane