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Difficultez. Deux Choſes l’avoient jetté dans l’Erreur ; l’Homme, qu’il voïoit malheureux ; & ce Principe, qui brille inceſſamment à notre Eſprit, que de rien on ne peut faire rien. Les Infortunes, auxquelles l’Humanité eſt ſujette, revoltoient principalement ſa Raiſon. Il ne pouvoit ſe figurer, qu’un Etre, infiniment intelligent, infiniment bon, infiniment parfait, n’eut créé des Créatures, que pour les rendre malheureuſes. Or, il étoit très perſuadé, que tous les Hommes, ou du moins une grande Partie, éprouvoient un Sort, dont ils pouvoient ſe plaindre juſtement : &, pour être pénétré de la Vérité de ce Fait, on n’a qu’à conſidérer les Miſeres & les Maux répandus dans les quatres Parties du Monde[1]. On verra par-tout l’Homme accablé de Maladies & de Chagrins,

  1. Ils tiennent que nous, étant ſi malheureux & ſi miſérables, ſommes gouvernez par la Providence Divine. Or, ſi les Dieux, ſe changeans, nous vouloient offenſer, affliger, tourmenter, & débriſer, ils ne nous pourroient pas mettre en pire État que nous ſommes maintenant : … & ne pourroit être la Vie de l’Homme, ne pire, ne plus malheureuſe, qu’elle eſt. Tellement, que ſi elle avoit Langue & Voix pour parler, elle diroit les Paroles d’Hercule : Plein ſuis de Maux, plus n’en pourrois avoir. Plutarc. de Repugn. Stoïc. pag. 104 de la Verſion d’Amiot.