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ce, n’étoient que de hardis Ignorans, qui, étant eux-mêmes les premières Dupes de leur Vanité, ne ſe défendoient, qu’à l’Abri de quelques Mots inintelligibles, contre les Attaques de la Raiſon & de la Lumiere Naturelle, à laquelle ils avoient juré une Guerre éternelle. Je ſouffrois à regret, qu’un Homme fût en Droit de mépriſer les Raiſonnemens ſenſez d’un autre Homme, qui, n’aïant pas lû Ariſtote ou Scot, ſembloit n’avoir Permiſſion de faire Uſage de sa Raiſon, que dans les Choſes les plus communes de la Vie. Car, à peine les Demi-Savans accordent-ils, à ceux qu’ils regardent comme plongés dans une Ignorance craſſe, la Liberté d’agir d’une Maniere un peu plus intellectuelle que celle du Reſte des Animaux. Mais, ils devroient songer, que Dieu n’a pas été ſi peu libéral de ſes Faveurs envers les Hommes, que, ſe contentant d’en faire des Créatures à deux Jambes, il ait laiſſé à Ariſtote le Soin de les rendre des Créatures raiſonnables[1].

La Raiſon eſt un Don du Ciel, accordé à tous les Hommes en général ; & ceux, qui veulent en faire Uſage, &

  1. Locke, Eſſai Philoſophique ſur l’Entendement Humain.