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Il n’en eſt pas, dit Bernier, de la Philoſophie comme des Arts. Plus on s’exerce dans les Arts, plus on s’y fait ſavant. Mais, plus on ſpécule ſur les Choſes Naturelles, plus on découvre qu’on y eſt ignorant. Il y a trente à quarante Ans, que je philoſophe, fort perſuadé de certaines Choſes ; & voilà que je commence d’en douter. Bien pis : il y en a, dont je ne doute plus ; déſeſpéré de pouvoir jamais y rien comprendre[1].

Il eſt difficile d’expliquer plus clairement l’Incertitude des Connoiſſances Humaines. Ce n’eſt point un Génie médiocre, qui ne doute que parce qu’il n’approfondit pas les Queſtions. C’eſt un Philoſophe eſtimé généralement ; & qui n’eſt incertain, qu’après avoir étudié quarante Ans. Il n’eſt pas le ſeul, qui ait été auſſi ſincere. Il s’eſt trouvé, parmi les Hommes Illuſtres de tous les Tems & de toutes les Nations, de grands Génies, qui, aïant autant de Bonne-Foi que de Pénétration d’Eſprit, ont avoué naturellement cette Incertitude, dont la Vanité des autres Philoſophes les empéchoit de convenir. Cicéron, après avoir éxaminé les différens

  1. Bernier, Doutes, pag. i.