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que nous concevons d’une Tour quarrée, que nous nous figurons devoir être ronde, en la regardant de fort loin : l’Eloignement affoibliſſant notre Vûe, & ne donnant à nos Sens que le Moïen d’agir foiblement, & pour ainſi dire à-demi.

Nous devons auſſi, ſi nous voulons rectifier autant qu’il eſt poſſible nos Idées, nous défier de nous-mêmes, c’eſt-à-dire de notre Tempéramment & de nos Paſſîons : ſans quoi nous courrons riſque de faire pluſieurs faux Jugemens, & de nous former des Idées ſelon nos Inclinations. Un Homme, qui ne boit point de Vin, & qui s’en eſt abſtenu dès ſa Naiſſance, a l’Idée du Vin comme deſagréable au Gout. On voit tous les Jours Nombre de Perſonnes, qui ont un Dégoût pour certaines Choſes, qui ſont indifférentes, ou même bonnes. Ces Idées ſont fauſſes ; & le Jugement, que notre Entendement : fait à leur Sujet, ſe trouve défectueux.

Nos Paſſions font auſſi les Sources d’un Nombre d’Idées que nous devons examiner avec plus d’Attention que les autres ; parce qu’aïant à nous défier de nous-même dans le Jugement que nous