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demment combien la Voïe de la Tradition eſ foible, incertaine, & douteuſe, pour éclaircir la Vérité d’un Fait conteſé. Le Paganisme, dit cet habile Ecrivain, inſultoit les prémiers Chrétiens ſur leur petit Nombre, & leur oppoſoit ſon Antiquité, & le Suffrage général d’une infinité de Nations. L’Egliſe Romaine ſe ſervit de la même Batterie contre Luther & Calvin. Les Proteſtans s’en ſerviroient dès aujourd’hui contre une Secte naiſſante au milieu d’eux. C’eſt une Méthode très aiſée de réfuter les Innovations. On évite le Détail des Controverſes. La Voie de Preſcription épargne toutes les Fatigues de l’Examen, car, on ſe diſpenſe des Diſcuſſions, à l’égard même du Point de Fait, ſur l’Antiquité & l’Etendue préſuppoſée : on s’en rapporte pleinement à la Voix publique. Tout cela flatte beaucoup la Pareſſe Humaine. C’eſt pourquoi l’on ſe munit de cet Argument dans toutes les Occaſions ; &, pour une fois qu’il peut être utile à la Vérité, il eſt cent fois favorable à la Fauſſeté#1. On s’eſt plaint de tout tems des Maux que cauſoit la Croïance aveugle que l’on donnoit à mille Fables,[1]

  1. Bayle, Contînuat des Penſées ſur les Cométes, Tom. I, pag. 144.