Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, V.djvu/96

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

humain n’aura pas assez d’esprit pour comprendre par lui-même que trois ne font pas un, et que du pain n’est pas Dieu. Les ennemis de la raison font dans ce moment assez sotte figure, et je crois qu’on pourrait dire comme dans la chanson :

Pour détruire tous ces gens-là,
Tu n’avais qu’à les laisser faire.

Je ne sais ce que deviendra la religion de Jésus, mais sa compagnie est dans de mauvais draps. Ce que Pascal, Nicole et Arnaud n’ont pu faire, il y a apparence que trois ou quatre fanatiques absurdes et ignorés en viendront à bout : la nation fera ce coup de vigueur au dedans, dans le temps où elle en fait si peu au dehors ; et on mettra dans les abrégés chronologiques futurs, à l’année 1762 : Cette année, la France a perdu toutes ses colonies et chassé les jésuites. Je ne connais que la poudre à canon qui, avec si peu de force apparente, produise d’aussi grands effets.

Il s’en faut beaucoup, j’en conviens, que les fanatiques d’un certain rang tiennent, entre les fanatiques de Loyola et les fanatiques de Saint-Médard, la balance aussi égale qu’un certain philosophe de vos amis ; mais laissons les pandoures détruire les troupes régulières. Quand la raison n’aura plus que les pandoures à combattre, elle en aura bon marché.

À propos des pandoures, savez-vous qu’ils ne laissent pas de faire encore quelques incursions par-ci par-là sur nos terres ? Un curé de Saint-Herbland, de Rouen, nommé Le Roi (ce n’est pas le roi des orateurs), qui prêche à Saint-Eustache, vous a honoré, il y a environ quinze jours, d’une sortie apostolique, dans laquelle il a pris la liberté de vous mettre en accolade avec Bayle. N’oubliez pas cet honnête homme, à la première bonne digestion que vous aurez ; son sermon mérite qu’il soit recommandé au prône.

En voilà assez sur les sots et les sottises. Tout cela ne serait rien, si nous n’avions pas perdu la Martinique, et si tout, jusqu’aux Russes, ne se moquait pas de nous. Eh bien, que dites-vous de votre ancien disciple ? Je ne crois pas qu’il regrette autant que vous Elisabeth Petrowna. Par ma foi, il avait besoin de cette mort, et il en a bien promptement tiré parti. Je me souviens de ce que vous me disiez, il y a six ans : Il a plus d’esprit qu’eux tous. Dieu veuille que nous profitions de l’exemple ou du prétexte que les Russes nous donnent pour nous débarrasser de cette maudite alliance autrichienne, qui nous coûtera plus que l’Espagne n’a coûté à Louis XIV.

Laissons les rois s’égorger, ainsi que les parlements et les jésui-