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à l’Académie vos remarques sur les Horaces, sur Cinna, et sur le Cid, la préface du Cid, et l’épître dédicatoire. Tout cela a été lu avec soin dans les assemblées, et Duclos nous dit hier que vous aviez reçu nos remarques, et que vous en paraissiez content. N’oubliez pas d’insister plus que vous ne faites dans votre épître, sur la protection qu’on accordait aux persécuteurs de Corneille, et sur l’oubli profond où sont tombées toutes les infamies qu’on imprimait contre lui, et qui vraisemblablement lui causaient beaucoup de chagrin. Vous pouvez mieux dire, et avec plus de droit que personne, à tous les gens de lettres et à tous les protecteurs, des choses fort utiles aux uns et aux autres, que cette occasion vous fournira naturellement.

Nous avons été très contents de vos remarques sur les Horaces ; beaucoup moins de celles sur Cinna, qui nous ont paru faites à la hâte. Les remarques sur le Cid sont meilleures, mais ont encore besoin d’être revues. Il nous a semblé que vous n’insistiez pas toujours assez sur les beautés de l’auteur, et quelquefois trop sur des fautes qui peuvent n’en pas paraître à tout le monde. Dans les endroits où vous critiquez Corneille, il faut que vous ayez si évidemment raison, que personne ne puisse être d’un avis contraire ; dans les autres, il faut ou ne rien dire ou ne parler qu’en doutant. Excusez ma franchise ; vous me l’avez permise, vous l’avez exigée ; et il est de la plus grande importance pour vous, pour Corneille, pour l’Académie et pour l’honneur de la littérature française, que vos remarques soient à l’abri même des mauvaises critiques. Enfin, mon cher confrère, vous ne sauriez apporter dans cet ouvrage trop de soin, d’exactitude et même de minutie. Il faut que ce monument que vous élevez à Corneille, en soit aussi un pour vous, et il ne tient qu’à vous qu’il le soit.

Je souscris, si vous le trouvez bon, pour deux exemplaires, pour l’un comme votre ami, et pour l’autre comme homme de lettres et comme Français. Si les gens de lettres de cette frivole et moutonnière nation qui les persécute en riant, ne soutiennent pas l’honneur de la chère patrie, comme disent les Allemands, hélas ! que deviendra ce malheureux honneur ? Vous voyez le beau rôle que nous jouons sur la terre et sur l’onde ; et ce qu’il y a de plus fâcheux, c’est que nous avons l’air de le jouer encore quelque temps, car la paix ne paraît pas prochaine. Cependant le parlement se bat à outrance avec les jésuites, et Paris en est encore plus occupé que de la guerre d’Allemagne ; et moi, qui n’aime ni les fanatiques parlementaires, ni les fanatiques de Saint-Ignace, tout ce que je leur souhaite, c’est de se détruire les uns par les autres, fort tranquille d’ailleurs sur l’événement,