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ainsi. Que Dieu le bénisse, lui, ses vers et sa prose ! on dit qu’il a permission d’aller se promener dans ses abbayes ; on aurait dû l’envoyer promener quatre ans plus lot. Il ne reste plus qu’à savoir ce que nous allons devenir, et quel parti nous allons prendre.

Quand on a tout perdu, quand on n’a plus d’espoir,
La guerre est un opprobre, et la paix un devoir.

Quant à nos sottises intestines, elles commencent à foisonner un peu moins dans ce moment-ci. Il n’y a rien de nouveau, que je sache, du quartier général de l’Encyclopédie et de la Palissoterie. La philosophie est entrée en quartier d’hiver. Dieu veuille qu’on l’y laisse respirer !

Adieu, mon cher et illustre maître, continuez à rire de tout ce qui se passe. J’en ris tout autant que vous, quoique je sois dans la poêle : heureux qui, comme vous, a trouvé moyen de sauter dehors ! Vous ne vous plaindrez pas que cette épître est une lettre de Lacédémonien ; pourvu qu’elle ne vous paraisse pas une lettre de Béotien, je serai consolé de mon bavardage.

À propos, vraiment j’oubliais de vous dire que je suis raccommodé, vaille que vaille, avec madame du Deffant ; elle prétend qu’elle n’a point protégé Palissot ni Fréron, et j’ai tout mis aux pieds, non du pendu, mais de Socrate. Ainsi, qu’elle ne sache jamais ce que je vous avais écrit pour me plaindre d’elle ; cela me ferait de nouvelles tracasseries que je veux éviter.


Paris, 9 avril 1761.


Je vous remercie, mon cher maître, de m’avoir envoyé votre charmante épître sur l’agriculture, qui ne parle guère d’agriculture, et qui n’en vaut que mieux. C’est, à mon avis, un des plus agréables ouvrages que vous ayez faits. Des gens de votre connaissance, qui en ont pensé comme moi, et qui ne sont pas descendus d’Ismaël, car ils servent et Baal et le Dieu d’Israël, l’ont trouvée si bonne, qu’ils ont voulu la lire à la reine ; mais il y avait deux vers mal-sonnants et offensant les oreilles pieuses, qu’il a fallu corriger pour mettre votre épître en habit décent, et pour la rendre propre à être portée aux pieds du trône ; et croiriez-vous que c’est moi qui ai fait cette correction ? J’ai donc mis le bon mari d’Ève, au lieu du sot mari, qui était pourtant la vraie épithète ; et au lieu de manger la moitié de sa pomme, qui est plaisant, j’ai mis goûter de la fatale pomme, qui est bien plat ; mais cela est encore trop bon pour Versailles.

Riez, si vous voulez, de cette petite anecdote ; mais, s’il vous