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pour Diderot, mais 1.o de lui en trouver assez pour qu’il soit élu ; 2.o de lui sauver douze ou quinze boules noires qui l’excluraient à jamais ; 3.o d’obtenir le consentement du roi. Il serait médiocrement soutenu à Versailles ; chacun de nos candidats y a déjà ses protecteurs. Je sais que cela ferait une guerre civile ; et je conviens avec vous que la guerre civile a son amusement et son mérite ; mais il ne faut pas que Pompée y perde la vie.

J’ai dit à l’abbé Mords-les toutes les obligations qu’il vous a, et dès qu’il sera sédentaire à Paris, il se propose de vous en remercier. Il est pourtant un peu fâché de ce que, dans vos lettres à Palissot, vous appelez la Vision une pièce… ou autant vaut : c’est pourtant cette… pièce qui a mis les rieurs de notre côté.

J’ai donné à Thiriot le peu d’anecdotes que je savais sur les différents personnages dont vous me parlez. J’y ajoute que Chaumeix a, dit-on, gagné la vérole à l’Opéra-Comique ; que l’abbé Trublet prétend avoir fait autrefois beaucoup de conquêtes par le confessionnal, lorsqu’il était prêtre habitué à Saint-Malo. Il me dit un jour qu’en prêchant aux femmes de la ville, il avait fait tourner toutes les têtes ; je lui répondis : C’est peut-être de l’autre côté.

L’Écossaise a été bravement et avec affluence jusqu’à la seizième représentation. On assure que les comédiens la reprendront cet hiver, et ils feront fort bien. J’ai lu le jour de Saint-Louis, à l’Académie Française, un morceau contre les mauvais poètes, et en votre honneur. Je ne vous ai trouvé que deux défauts impardonnables, c’est d’être Français et vivant. C’est par là que je finissais, et le public a battu des mains beaucoup moins pour moi que pour vous. J’ai aussi étrillé les Wasp en passant. En un mot, cela a fort bien réussi. Adieu, mon cher et grand philosophe.


Paris, 22 septembre 1760.


Mon cher et illustre maître, je viens de remettre à l’ami Thiriot une copie de ma petite drôlerie, que vous me paraissez avoir envie de lire. Je souhaiterais qu’elle fût de votre goût, mais je désire encore plus vos conseils. Personne au monde n’en a de copie que vous, et je compte qu’elle ne sortira pas de vos mains.

Je fus avant hier, pour la troisième fois, à Tancrède. Tout le monde y fond en larmes, à commencer par moi, et la critique commence à se taire. Laissez dire les aliborons, et soyez sûr que cette pièce restera au théâtre. Mademoiselle Clairon y