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Paris, 13 mai 1759.


Vous ne m’avez pas bien lu, mon cher et illustre maître. Je n’ai point dit que les sciences fussent plus redevables aux Français qu’à aucune des autres nations ; j’ai dit seulement, et cela est vrai, que l’astronomie physique leur est aujourd’hui plus redevable qu’aux autres peuples. Si vos occupations vous permettaient de lire ce qu’on a fait en France depuis dix ans, vous verriez que je n’ai rien exagéré. Depuis la mort de Newton les Anglais ne font presque plus rien que de nous prendre des vaisseaux et de nous ruiner.

Ma Laubrussellerie aurait mieux valu si je l’avais faite auprès de vous ; mais telle qu’elle est je crois qu’elle ne sera pas inutile à la philosophie. Les fanatiques grinceront les dents et ne pourront pas mordre ; je ne leur ai donné que des coups de baguette, mais cela les préparera aux coups de bâton. Quant à vous, mon cher ami, frappez fort ; vous êtes en place marchande pour cela : exurgat Deus, et dissipentur inimici ejus ; car ces gens-là sont autant les ennemis de Dieu que ceux de la raison.

J’eus, il y a quelques jours, la visite d’un fort honnête jésuite à qui je donnai de bons avis. Je lui dis que sa société avait eu grand tort de se brouiller avec vous, qu’elle s’en trouverait mal, qu’elle en aurait l’obligation à leur beau Journal de Trévoux et à leur fanatique Berthier : mon jésuite, qui apparemment n’aime pas Berthier, et qui n’est pas du journal, applaudissait à mes remontrances. Cela est bien fâcheux, me disait-il ; oui, très fâcheux, mon révérend père, lui répondis-je, car vous n’aviez pas besoin de nouveaux ennemis. Adieu, mon très cher et très illustre maître ; je recommande à vos bonnes intentions et la canaille jésuitique, et la canaille jansénienne, et la canaille sorbonique, et la canaille intolérante. Je vous embrasse de tout mon cœur.


Paris, 27 décembre 1759.


Cette lettre vous sera rendue mon cher et illustre confrère, par M. l’abbé de Saint-Non, neveu de M. de Boullongne, qui va en Italie pour y voir les chefs-d’œuvre des arts, y entendre de bonne musique, et y connaître les bouffons de toute espèce que ce pays renferme. Il passe par Genève pour aller à Rome ; et avant d’aller demander la bénédiction du pape, il souhaite recevoir la vôtre. Si feu votre ami Benoît XIV vivait encore, je vous demanderais une lettre de recommandation pour notre voyageur ; mais la philosophie a perdu jusqu’au pape. Je me