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frage ! Je n’ai point de nouvelles de notre hérétique de Prades ; mais j’ai peine à croire, comme vous, qu’il ait trahi son bienfaiteur. Voilà un long bavardage, mon cher philosophe ; mais je cesse de vous ennuyer en vous embrassant de tout mon cœur.


Paris, 20 janvier 1758.


Cest à tort, mon cher et illustre philosophe, que vous vous plaignez de mon silence ; vous avez dû recevoir il y a plusieurs jours une longue lettre de moi, dont le bavardage vous aura sans doute ennuyé. Je vous y faisais part de mes dispositions par rapport à l’article Genève ; ces dispositions sont toujours les mêmes, et aucune autorité divine ni humaine ne pourra les changer. Tant que ces messieurs se borneront à se plaindre (comme ils l’ont fait par la lettre que le docteur Tronchin m’a écrite) que je les ai taxés, dans l’article Genève, de n’être pas chrétiens, ma réponse sera bien simple ; elle se bornera à leur représenter, comme j’ai fait dans ma réponse, que je n’ai pas dit un mot de ce dont ils m’accusent ; mais s’ils portent leurs plaintes plus loin, s’ils disent que j’ai trahi leur secret, et que je les ai représentés comme sociniens, je leur répondrai, et je répondrai à toute la terre s’il le faut, que j’ai dit la vérité, et une vérité notoire et publique, et que j’ai cru, en la disant, faire honneur à leur logique et à leur judiciaire. Voilà tout ce qu’ils auront de moi ; et soyez sûr, quelque chose qu’ils fassent, qu’homme, dieu, ange ni diable, ne m’en feront pas dire davantage.

À l’égard de l’Encyclopédie, quand vous me pressez de la reprendre, vous ignorez la position où nous sommes, et le déchaînement de l’autorité contre nous. Des brochures et des libelles ne sont rien en eux-mêmes ; mais des libelles protégés, autorisés, commandés même par ceux qui ont l’autorité en main, sont quelque chose, surtout quand ces libelles vomissent contre nous les personnalités les plus odieuses et les plus infâmes. Observez d’ailleurs que si nous avons dit jusqu’à présent, dans l’Encyclopédie, quelques vérités hardies et utiles, c’est que nous avons eu affaire à des censeurs raisonnables, et que les docteurs n’ont censuré que la théologie qui est faite pour être absurde, et qui cependant l’est moins encore dans l’Encyclopédie qu’elle ne pourrait l’être. Mais qu’on établisse aujourd’hui ces mêmes docteurs pour réviseurs généraux de tout l’ouvrage, et qu’on nous donne par ces moyens des entraves intolérables, c’est à quoi je ne me soumettrai jamais. Il vaut mieux que l’Encyclopédie n’existe pas, que d’être un répertoire de capucinades,