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comme fort avantageux à l’Église romaine, parce que j’y prouve, disent-ils, par les faits, ce que Bossuet a démontré par le raisonnement, que le protestantisme mène au socinianisme. Tout cela n’est-il pas bien plaisant ?

On ne peut s’empêcher d’en pleurer et d’en rire.

J’ai reçu vos deux articles Habile et Hauteur avec leurs dérivés ; je vous en remercie de tout mon cœur, et je vous enverrai au premier jour, sous enveloppe, l’article Histoire ; mais vous pouvez ne pas vous presser sur le reste. J’ignore si l’Encyclopédie sera continuée : ce qu’il y a de certain, c’est qu’elle ne le sera pas par moi. Je viens de signifier à M. de Malesherbes et aux libraires qu’ils pouvaient me chercher un successeur. Je suis excédé des avanies et des vexations de toute espèce que cet ouvrage nous attire. Les satires odieuses et même infâmes qu’on publie contre nous, et qui sont non seulement tolérées, mais protégées, autorisées, applaudies, commandées même par ceux qui ont l’autorité en main ; les sermons, ou plutôt les tocsins qu’on sonne à Versailles contre nous en présence du roi, nemine reclamante ; l’inquisition nouvelle et intolérable qu’on veut exercer contre l’Encyclopédie, en nous donnant de nouveaux censeurs plus absurdes et plus intraitables qu’on n’en pourrait trouver à Goa ; toutes ces raisons, jointes à plusieurs autres, m’obligent de renoncer pour jamais à ce maudit travail.

Rien n’est plus vrai ni plus juste que ce que vous me mandez sur l’Encyclopédie. Il est certain que plusieurs de nos travailleurs y ont mis bien des choses inutiles, et quelquefois de la déclamation ; mais il est encore plus certain que je n’ai pas été le maître que cela fût autrement. Je me flatte qu’on ne jugera pas de même de ce que plusieurs de nos auteurs et moi avons fourni pour cet ouvrage, qui vraisemblablement demeurera à la postérité, comme un monument de ce que nous avons voulu et de ce que nous n’avons pu faire.

Oui, vraiment, votre disciple a repris Breslau, avec une armée toute entière qui était dedans, et des magasins de toute espèce ; on dit même aujourd’hui que Schweidnitz s’est rendu le 30. Ainsi voilà les Autrichiens hors de Silésie, et sans armée. J’ai bien peur que, nous autres Français, nous ne soyons aussi bientôt sans armée, et sur le Rhin. Que je suis fâché que le plus grand prince de notre siècle ait contristé celui qui était si digne d’écrire son histoire ! pour moi, comme Français et comme philosophe, je ne puis m’affliger de ces succès. Nos Parisiens ont aujourd’hui la tête tournée du roi de Prusse. Il y a cinq mois qu’ils le traînaient dans la boue : et voilà les gens dont on ambitionne le suf-