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de Foix m’a fait le plus grand plaisir du monde ; la conduite m’en paraît excellente, les caractères bien soutenus, et la versification admirable. Je ne vous parle pas de Lisois, qui est sans contredit un des plus beaux rôles qu’il y ait au théâtre ; mais je vous avouerai que le duc de Foix m’enchante. Avec combien d’amour, de passion et de naturel il revient toujours à son objet, dans la scène entre lui et Lisois, au troisième acte ! en écoutant cette scène et bien d’autres de la pièce, je disais à M. de Voltaire comme la prêtresse de Delphes à Alexandre : Ah ! mon fils, on ne peut te résister. On nous flatte de remettre Rome sauvée après la Saint-Martin : vos amis et le public seront charmés de la revoir ; mais ils aimeraient encore mieux revoir votre personne. Je suis fâché, pour l’honneur de notre nation et de notre siècle, que vous n’ayez pu dire comme Cicéron :

Scipion, accusé sur des prétextes vains,
Remercia les Dieux et quitta les Romains.
Je puis en quelque chose imiter ce grand homme :
Je rendrai grâce au ciel, et resterai dans Rome.

Il ne me reste de place que pour vous réitérer mes remerciements, et vous prier de penser quelquefois au plus sincère de vos amis, et au plus zélé de vos admirateurs.


Lyon, 28 juillet 1756.


Puisque la montagne ne veut pas venir à Mahomet, il faudra donc, mon cher et illustre confrère, que Mahomet aille trouver la montagne. Oui, j’aurai dans quinze jours le plaisir de vous embrasser et de vous renouveler l’assurance de tous les sentiments d’admiration que vous m’inspirez. Je compte être à Genève au plus tard le 10 du mois prochain et y passer le reste du mois. Je vous y porterai les vœux de tous vos compatriotes, et leur regret de vous voir si éloigné d’eux. Je m’arrête ici quelques jours pour y voir un très petit nombre d’amis qui veulent bien me montrer ce qu’il y a de remarquable dans la ville, et surtout ce qu’il peut être utile de connaître pour le bien de notre Encyclopédie. Je me refuse à toute autre société, parce que je pense avec Montaigne, que d’aller de maison en maison faire montre de son caquet, est un métier très messéant à un homme d’honneur. Nous avons ici une comédie détestable et d’excellente musique italienne médiocrement exécutée. Le bruit a couru ici que vous deviez venir entendre mademoiselle Clairon dans la nouvelle salle, et voir jouer ce rôle d’Idamé qui a fait tourner la tête à tout Paris. Je craignais fort que vous ne vinssiez à Lyon pendant que j’irais à Genève, et que nous ne jouassions aux