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aussi facile à obtenir qu’elle l’est peu, je n’en serais pas plus disposé à faire aucune démarche pour y parvenir. J’y suis bien moins propre que vous ne l’imaginez : elle demande beaucoup de sujétion et d’exactitude, et vous me connaissez assez pour savoir que ma liberté est ce que j’aime le mieux ; elle demande d’ailleurs beaucoup de connaissances de chimie, d’anatomie, de botanique, etc., que je n’ai point, et que je n’ai guère d’empressement d’acquérir ; elle met dans le cas de louer souvent des choses et des personnes fort médiocres, et je ne sais comment on peut se résoudre à louer ce qui ne mérite pas de l’être, ni comment on en vient à bout : cette affaire-là est trop difficile pour moi. Le public d’ailleurs est accoutumé, depuis Fontenelle, à voir faire cette besogne d’une certaine manière, qui ne serait point du tout la mienne ; et il y a trop de risque à vouloir lui faire changer d’allure quand une fois il en a pris une, bonne ou mauvaise. Ainsi je vous supplie, madame, d’oublier les vues que vous avez sur moi pour remplir cette place, et que M. de Saint-Mard vous a inspirées à mon grand regret. Si j’ai quelque talent pour écrire, il me sera fort aisé de l’exercer sans être secrétaire de l’Académie ; et j’en aurai plus de temps pour la géométrie, à laquelle je serais bien fâché de renoncer : c’est une ressource sûre, avec laquelle on ne s’ennuie guère ; on ne fait pas grand bruit, mais on a peu d’ennemis. La place que je tiens dans le monde n’est pas grande, et je travaille tous les jours à la rétrécir : le moyen d’être heureux est de ne se trouver sur le chemin de personne. Je n’en suis pas moins sensible à tout ce que vous voulez faire pour moi ; mais M. de Maurepas et madame de Tencin m’ont appris à me passer de place, de fortune et de considération.

J’étais prié à dîner le jour de la Saint-Louis chez le président Hénault, mais je ne suis revenu à Paris que le lendemain ; d’ailleurs, quand j’aurais pu y aller, je crois, entre nous, que je m’en serais dispensé. Comme le président Hénault se plaint de moi, et que je crois qu’il a tort, j’aurais fait chez lui une assez sotte figure. J’avais envie de parler de lui dans l’article Chronologie ; mais cela ne se peut pas ; je vous en dirai la raison : et d’ailleurs je ne l’aurais peut-être pas assez loué à son gré. Tout ceci, je vous prie, madame, entre nous. Je reviendrai à Paris vers le 12 ; et si vous y êtes, j’aurai l’honneur de vous voir.