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la religion. Julien aura cela, et vous l’enverra. Il a fait aussi le Tombeau de la Fortune, qui est l’histoire de l’abbé de Prades. Cela ne vaut pas l’apologie Bolingbroke, mais cela est encore bon.

Madame Denis m’a dit qu’elle ne vous avait point fait réponse, parce qu’elle ignorait votre adresse ; mais que votre lettre avait été envoyée sur-le-champ. Je lui demanderai un Essai sur le siècle de Louis XIV, et je tâcherai de vous l’envoyer avec mes opuscules, pour lesquels cet ouvrage sera un bien mauvais voisin. Vous avez bien raison sur l’abbé de Bernis. J’ai voulu lire ses vers, et le papier m’est tombé des mains ; toute cette galanterie me paraît bien froide, et les Zéphirs, et l’Amour, et Cythère et Paphos : ah, mon Dieu ! que tout cela est fade et usé.

Vous pouvez continuer à lire Rollin, dont vous jugez, ce me semble, très bien. Ses derniers volumes sont à peu près comme les premiers ; et d’ailleurs le sujet les rend agréables. C’est l’histoire des Macédoniens et des Grecs.

Je vous exhorte à ménager beaucoup vos yeux ; c’est un mal réel que d’avoir une mauvaise vue, mais ce n’est point un mal, et c’est quelquefois un bien que de ne pas voir beaucoup de gens. C’en serait en vérité un que de ne pas entendre et voir toutes les sottises qui se font ici, et les billets de confession, l’archevêque, et le parlement. Nous avons été fort occupés pendant quinze jours d’une sœur Perpétue de la communauté de Ste.-Agathe, à qui le parlement a voulu faire donner les sacrements, et à qui l’archevêque les refusait. Le temporel de l’archevêque a été saisi vingt-quatre heures ; pour son spirituel, on aurait été fort embarrassé de le trouver. Le roi a donné main-levée de la saisie, et a empêché la convocation des pairs : la sœur Perpétue se porte mieux ; elle a fait dire au parlement qu’elle n’était plus en danger, qu’elle le remerciait de ses attentions, et tout cela s’est terminé par bien des petitesses de part et d’autre.

Nous sommes menacés d’un autre schisme sur la musique. On prétend que je suis à la tête de la faction italienne ; mais je n’ai point de goûts exclusifs, et j’approuverai toujours dans la musique française ce qu’elle aura d’agréable. Il est vrai que je crois que nous sommes à cent lieues des Italiens sur cet art. Le parlement veut leur renvoyer leur constitution ; il faudrait au moins prendre leur musique en échange. Adieu, madame : voilà une grande diable de lettre qui vous ennuiera ; mais le plaisir de m’entretenir avec vous m’a entraîné plus loin que je ne voulais. Ayez soin de votre santé et de vos yeux, et soyez bien persuadée de mon respectueux attachement.