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roi de ses bontés et de sa place : je voudrais pouvoir vous faire lire ma réponse ; elle a touché le roi, et n’a fait qu’augmenter l’envie qu’il avait de m’avoir. M. d’Argens m’a récrit, a répondu tant bien que mal à mes objections ; j’ai fait réponse et j’ai remercié une seconde fois. Voltaire vient d’écrire encore pour cela à madame Denis ; mais je persiste, et je persisterai dans ma résolution. Ce n’est pas que je sois fort content du ministère, et surtout de l’ami ou soi-disant tel de votre président ; il s’en faut beaucoup : je sais, à n’en pouvoir douter, qu’il est très mal disposé pour moi, et j’ignore absolument pour quelle raison : mais que m’importe ! je resterai à Paris, j’y mangerai du pain et des noix, j’y mourrai pauvre, mais aussi j’y vivrai libre. Je vis de jour en jour plus retiré ; je dîne et soupe chez moi ; je vais voir mon abbé à l’Opéra ; je me couche à neuf heures, et je travaille avec plaisir, quoique sans espérance. Je vous sollicite instamment de ne rien écrire au président ni à personne, des propositions qu’on me fait à Berlin : quoique M. d’Argens me mande que le secret à présent est inutile, je suis trop reconnaissant des bontés du roi pour me parer de cette petite vanité. On a eu raison de vous mander beaucoup de bien de l’apologie de l’abbé de Prades, mais je ne sais si elle vous amusera beaucoup. La réponse à l’évêque d’Auxerre est ce qui vous ennuiera le moins, et la fin surtout de cette réponse me paraît un morceau très éloquent. J’ai ajouté, dans le discours préliminaire de l’Encyclopédie, quelques traits à l’éloge du président Montesquieu, parce qu’il le mérite, et parce qu’il est persécuté[1]. J’ai lu ces jours-ci une petite apologie que Voltaire a faite de milord Bolingbroke contre je ne sais quel journaliste : cela est charmant, à deux ou trois mots près ; mais cela est fort rare. Je demanderai à madame Denis, la première fois que je la verrai, si elle a envoyé votre lettre. Cette pauvre Denis a retiré sa pièce des mains des comédiens, après avoir été ballotée pendant trois mois ; elle aurait mieux fait de ne la pas donner.

Que vous dirais-je des sottises des Chaulnes ! et puis tout cela vous étonne-t-il ? On assure que les États ont manqué de respect à madame la duchesse, et l’ont taxée 1500 liv. ; ce n’est pas là une nuit de fille. Duclos s’est aussi un peu barbouillé dans tout cela ; j’en suis fâché, car je le crois au fond bon diable ; c’est peut-être parce qu’il me fait amitié ; mais de quoi s’avise-t-il aussi de vouloir être tout à la fois courtisan et philosophe ? cela ne saurait aller ensemble.

Nous avons ici depuis trois mois, à l’Opéra, des intermèdes

  1. Voyez cet éloge, tome 3, p. 440.