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vous ennuiera. Ce qui vous ennuiera peut-être moins, mais dont je vous supplie très instamment de ne parler à personne, ce sont deux volumes de mélanges de littérature, d’histoire et de philosophie, que je fais imprimer, et qui paraîtront à la fin de ce mois, ou au plus tard dans les premiers jours de janvier. Je voudrais que vous m’indiquassiez une occasion pour vous les faire tenir promptement. À la tête de ces mélanges est un avertissement assez philosophique ; ensuite viennent le discours préliminaire de l’Encyclopédie, et l’éloge de l’abbé Terrasson ; celui de Bernoulli est fort augmenté de détails que tout le monde pourra lire. Le second volume est entièrement neuf, il contient des réflexions et anecdotes sur la reine Christine, un essai sur les gens de lettres, les grands, les Mécènes, et la traduction d’une douzaine des plus beaux morceaux de Tacite, qui m’encouragera à traduire le reste si cette traduction est goûtée. Voilà, madame, ce qui m’a occupé tout cet été, et surtout depuis deux mois. Je viens d’envoyer le reste de mon manuscrit à l’imprimeur, et je n’y pense plus ; je vous supplie encore une fois de me garder un grand secret sur cet ouvrage, et surtout de n’en rien écrire à Paris. Très peu de personnes sont ici dans ma confidence, et je hâte l’impression le plus qu’il m’est possible.

Mais c’est assez et trop vous parler de moi. Je vois par votre dernière lettre que Chamron ne vous a pas guérie : vous me paraissez avoir l’âme triste jusqu’à la mort ; et de quoi, madame ? pourquoi craignez-vous de vous retrouver chez vous ? Avec votre esprit et votre revenu, pouvez-vous y manquer de connaissances ? Je ne vous parle point d’amis, car je sais combien cette denrée-là est rare, mais je vous parle de connaissances agréables : avec un bon souper on a qui on veut ; et si on le juge à propos, on se moque encore après de ses convives. Je dirais presque de votre tristesse ce que Maupertuis disait de la gaieté de madame de La Ferté Imbault, qu’elle n’était fondée sur rien. À propos de Maupertuis, nous ne l’aurons point cet hiver : il est actuellement malade, et accablé de brochures que l’on fait contre lui en Allemagne et en Hollande, au sujet d’un certain Kœnig, avec qui il vient d’avoir assez mal à propos une affaire désagréable pour tous les deux. Cela vous ennuierait et ne m’amuserait guère à vous conter. Le roi de Prusse est fort occupé de lui chercher un successeur dans la place de président ; et c’est encore ici un secret que je vous demande, et que je ne vous dirais pas, si je n’avais pas aujourd’hui la liberté de le dire à mes amis. Il y a plus de trois mois que le roi de Prusse m’a fait écrire par M. le marquis d’Argens pour m’offrir cette place, de la manière la plus gracieuse. J’ai répondu en remerciant le