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deux éditeurs, et me permettent à peine de m’éloigner de Paris à de très petites distances et pour quelques jours ; s’il était possible et si j’étais assez heureux pour que des événements que je ne puis prévoir me laissassent libre quelques mois, je profiterais avec ardeur de ce moment de loisir pour en aller faire hommage au roi. Mais tout ce que je puis faire dans ma situation présente, c’est d’accélérer, autant qu’il sera en moi, l’édition de l’Encyclopédie, et surtout de ne prendre aucun nouvel engagement qui m’empêche de pouvoir allier un jour, et peut-être bientôt, mon plaisir et mon devoir. Le roi seul est capable de me tirer de la retraite où je m’enfonce de plus en plus, et où je me trouve de jour en jour plus tranquille et plus heureux. Le bonheur que j’ai eu de me faire connaître de lui par mes ouvrages, est la seule chose qui m’empêche de regretter l’obscurité ; je ne veux plus sortir de ma solitude que pour lui, et pour dire ensuite en y rentrant : C’est maintenant, seigneur, que vous laissez aller votre serviteur en paix. Voilà, monsieur, dans la plus grande sincérité, quelles sont mes dispositions : puis-je me flatter que sa majesté voudra bien en être touchée, et me conserver les bontés dont elle m’honore ? Mon plus grand désir serait de pouvoir en profiter, et surtout de m’en rendre digne. Je crains qu’elle n’ait conçu de mes talents une opinion trop favorable ; mais elle ne saurait être trop persuadée de mon attachement inviolable pour sa personne ; je m’exposerais volontiers au risque de la détromper sur mon esprit, pour l’assurer des sentiments de mon cœur, et pour mériter, du moins à cet égard, une estime aussi précieuse que la sienne, dont je suis infiniment plus jaloux que de ses bienfaits.

J’ai l’honneur d’être, etc.


À MADAME DU DEFFANT.


Jai été, madame, dès lundi, prendre une souscription à l’Encyclopédie pour vous ; vous aurez votre volume lundi prochain, ou mercredi au plus tard : j’aurais eu l’honneur de vous le mander tout de suite, si j’avais eu un moment pour respirer. Il me semble que la préface réussit : j’en suis fort aise, surtout à cause de l’ouvrage, auquel les persécutions des jésuites m’ont vivement intéressé. Nous allons voir comment ils en parleront ; on dit qu’ils commencent à changer de ton : nous avons fait patte de velours avec eux dans le premier volume ; mais s’ils n’en sont pas reconnaissants, nous avons dans les autres volumes six à sept cents articles à leur service, Chinois, Confucius,