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à la société défunte. Les prêtres séculiers, prétendus administrateurs des biens, seront bientôt culbutés par eux, dès qu’ils trouveront un peu de faveur ; et d’ailleurs ces prêtres, choisis par l’archevêque de Paris, seront leurs créatures et leurs valets. Ils ne tarderont pas à représenter qu’il est absurde d’interdire à une communauté de prêtres l’étude de la théologie, et ils obtiendront ce point d’autant plus facilement que leur demande sera raisonnable. Ils représenteront de même qu’étant destinés à peupler les collèges de provinces, il est impossible qu’ils y suffisent, en n’ayant qu’une seule maison dans Paris (car le prétendu projet ne leur permet pas d’en avoir ailleurs) ; et ils obtiendront de même fort aisément d’en avoir au moins dans les principales villes.

Enfin il est clair que ces marauds ne demandent rien, dans ce moment, que d’obtenir un souffle de vie, qui deviendra bientôt, grâce à leurs intrigues, un état de vigueur et de santé. Je vous avoue, mon cher ami, que j’ai le cœur navré, quand je vois la protection que le roi de Prusse accorde à cette canaille, et qui servira peut-être d’exemple à d’autres souverains, quoiqu’il y ait bien de la différence entre souffrir des jésuites en pays protestant, et les avoir en pays catholique.

Voilà, mon cher ami, un sujet bien intéressant, et qui mériterait bien autant d’exercer votre plume que les Morangiès et les La Beaumelle. Vous allez dire que je fais encore le Bertrand, et que j’ai toujours recours à Raton ; mais songez donc que Bertrand a les ongles coupés. Ce que je désire et que j’attends de vous, serait l’ouvrage d’un bon citoyen et d’un bon Français, attaché au roi et à l’État. Vous pouvez répandre à pleines mains, sur ce projet, l’odieux et le ridicule dont vous savez si bien faire usage. Vous pouvez faire voir qu’il est dangereux pour l’État, pour l’Église, pour le pape et pour le roi, que les jésuites regarderont toujours comme leurs ennemis, et traiteront comme tels s’ils le peuvent. Ce sont les Broglie, si bien faits pour brouiller tout, qui, malgré leur disgrâce, intriguent actuellement de toutes leurs forces pour cet objet ; mais j’espère qu’ils trouveront en leur chemin le duc d’Aiguillon et tous les honnêtes gens du royaume, dont le cri va être universel. On dit que votre Catau conserve aussi les jésuites à l’exemple du roi de Prusse.