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que je l’étais trop douloureusement. Je croyais faire bien mon devoir de vous aimer ; mais jamais je n’ai mieux senti qu’en ce moment combien vous êtes cher et nécessaire à mon cœur. J’ai écrit deux lettres à madame Denis pour savoir de vos nouvelles, elle ne m’en a point encore donné ; mais je me flatte qu’elle vous aura bien dit le tendre intérêt que je prends à votre état. On nous assure que vous êtes beaucoup mieux, mais très faible ; conservez-vous, mon cher maître ; ménagez-vous, et songez que vous ne pouvez faire aux sots et aux fripons un meilleur tour que de vivre, et de vous bien porter. Ne m’écrivez point ; quelque chères que me soient vos lettres, elles vous fatigueraient ; mais faites-moi donner en détail de vos nouvelles. Tous nos confrères de l’Académie, aux Tartufe et Laurent près, sont aussi tendrement occupés que moi de votre santé et de votre conservation. J’ai reçu votre nouvelle défense de M. de Morangiès, et je l’ai lue avec plaisir ; mais laissez là tous les Morangiès du monde, et portez-vous bien. Dédiez les Lois de Minos à qui vous voudrez, et portez-vous bien.

Vous avez bien raison dans tout ce que vous me dites de l’ouvrage de M. de Condorcet : le succès en a été unanime ; il y a longtemps que le sot public n’a été si juste. L’Académie des sciences vient de lui donner l’adjonction et la survivance à la place de secrétaire, qui depuis trente ans était si mal remplie.

Adieu, mon cher et illustre ami ; portez-vous bien, portez-vous bien, portez-vous bien : voilà tout ce que je désire de vous. J’embrasse Raton de tout mon cœur.

Bertrand.


Paris, 27 avril 1773.


Mon cher maître, mon cher ami, je répondrai à ce que vous mandez de Catau :

Seigneur, s’il est ainsi, votre faveur est vaine.

Je doutais fort, malgré toute l’éloquence de Bertrand, qu’il obtînt d’elle la délivrance des rats qui se sont allés jeter assez mal-à-propos dans sa ratière. Les circonstances ne permettent peut-être pas que Catau leur donne la clef des champs, et Bertrand, tout philosophe qu’il est, est en même temps raisonnable ; mais Bertrand pouvait au moins, et devait même s’attendre à une réponse honnête et raisonnable, et non au persiflage que vous lui transcrivez. Voilà une nouvelle note à ajouter à toutes celles que j’ai déjà sur les Catau et compagnie. Je ne sais de qui la philosophie a le plus à se plaindre en ce mo-