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mais, ou votre modestie n’aurait pas accepté mon hommage, et je voulais me satisfaire, ou elle m’aurait interdit tout éloge, et je voulais dire à mon aise la vérité. Je vous prie d’être bien persuadé que de tout ce que j’ai écrit, ou que j’écrirai jamais, rien ne me sera plus cher et plus précieux que les trois premières pages de ce livre. Oserais-je me flatter que vous voudrez bien les recevoir comme le présent d’un philosophe, et comme le seul témoignage, mais le plus authentique que je puisse vous donner, du respect et de l’attachement avec lequel je serai toute ma vie, etc.


À FRÉDÉRIC II, roi de Prusse.


Sire, mon entrée dans une académie que Votre Majesté a rendu florissante, et le suffrage public dont un corps si illustre vient d’honorer mon ouvrage sur la cause générale des vents, sont les titres sur lesquels j’ose m’appuyer pour vous faire hommage de mon travail ; j’espère que ces titres me suffiront auprès d’un prince qui favorise les sciences, et qui se plaît même à les cultiver. La protection que vous leur accordez, Sire, est d’autant plus flatteuse, qu’elle est éclairée. Comme Votre Majesté sait animer les talents par son exemple, elle sait aussi les discerner par ses propres lumières ; le vrai mérite l’intéresse, parce qu’elle en connaît le prix, et qu’elle contribue trop à la gloire de l’humanité pour ne pas aimer tout ce qui en fait l’honneur. Elle appelle de toutes parts ceux qui se distinguent dans la noble carrière des lettres ; elle les rassemble autour de son trône ; et pour mettre le comble aux bienfaits qu’elle répand sur eux, elle y joint une récompense supérieure à toutes les autres, sa faveur et sa bienveillance. Ainsi ce même Frédéric qui, dans une seule campagne, remporte trois grandes victoires, soumet un royaume et fait la paix, augmente encore le petit nombre des monarques philosophes, des princes qui ont connu l’amitié, des conquérants qui ont éclairé leurs peuples et les ont rendus heureux. Tant de qualités, Sire, vous ont, à juste titre, mérité le nom de Grand dès les premières années de votre règne : vous l’avez en même temps reçu de vos sujets, des étrangers, de vos ennemis ; et les siècles futurs, d’accord avec le vôtre, admireront également en vous le souverain, le sage et le héros. Puis-je me flatter, Sire, que parmi les acclamations de toute l’Europe, Votre Majesté entendra ma faible voix, et qu’au milieu de sa gloire elle ne dédaignera point l’hommage d’un philosophe ? Si cet hommage ne répond pas à la grandeur de son objet, il a du moins les principales qualités qui peuvent le