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de le condamner. L’abbé n’a pas mal pris le mandement, et a paru même fort content de n’y être ni nommé ni désigné. Quand l’archevêque a été de retour à Toulouse, il a vu l’abbé et lui a dit qu’il était impossible que l’auteur d’un livre condamné comme irréligieux, pût être professeur d’histoire et de religion ; qu’il lui conseillait de quitter, et qu’il tâcherait de lui procurer quelque dédommagement. L’abbé a refusé de quitter ; il a répondu qu’il en appellerait au parlement si on l’y forçait. L’archevêque lui dit qu’il ne s’y opposait pas, et qu’il s’en tiendrait là si le parlement le renvoyait dans sa chaire ; mais que l’abbé prît garde de s’exposer devant le parlement. Il y avait entre cette conversation et le mandement, deux grands mois. Huit jours et plus se sont écoulés ; au bout de ces huit jours, il lui a pris une fièvre maligne dont il est mort. Il se peut faire que le chagrin en soit la cause ; mais vous voyez que l’archevêque a fait tout ce qui était en lui pour l’adoucir et le lui épargner en partie ; il lui a même épargné dans le fait, à ce qu’il assure, d’autres désagréments qu’on avait voulu lui donner. L’abbé a forcé l’archevêque à donner son mandement, en manquant à sa parole, en retirant sa démission, en voulant compromettre un des grands-vicaires. L’archevêque, avant ce temps-là, avait résisté pour lui pendant un an aux clameurs du parlement, des évêques, de l’assemblée du clergé ; à la fin on lui a forcé la main.

Vous voyez par ce détail, mon cher maître, que l’archevêque de Toulouse n’a fait, à l’égard de l’abbé, que ce qu’il n’a pu se dispenser de faire. Vous pouvez bien être sûr qu’il ne persécutera jamais personne ; mais il est dans une place et dans une position où il n’est pas toujours le maître de s’abandonner tout-à-fait à son caractère et à ses principes également tolérants. Je l’avais vu moi-même avant qu’il partît pour Toulouse, et je puis bien vous assurer qu’il n’était rien moins que malintentionné pour l’abbé Audra. Ne vous laissez donc pas prévenir contre lui, et soyez sûr, encore une fois, que jamais la raison n’aura à s’en plaindre. Nous avons en lui un très bon confrère, qui sera certainement utile aux lettres et à la philosophie, pourvu que la philosophie ne lui lie pas les mains par un excès de licence, ou que le cri général ne l’oblige d’agir contre son gré.

Mais un confrère qu’il faut bien nous garder d’acquérir, c’est ce plat et ridicule président Debrosses, dont vous avez tant à vous plaindre. Vous feriez bien, je crois, d’écrire à ceux de nos confrères qui connaissent les égards qu’on vous doit, combien vous seriez offensé d’un pareil choix.

Foncemagne et l’archevêque de Lyon sont ses partisans zélés. Foncemagne n’a jamais eu à se plaindre de vous ; au contraire.