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classe : cependant, si vous insistez, je verrai avec nos amis communs le parti qu’il faudra prendre. On ne pourrait lui rendre sa souscription que comme associé étranger, ce qui aurait son inconvénient, car alors comment y admettre le roi de Prusse ? Rousseau ne manquerait pas de jeter les hauts cris. Je vous invite donc à souffrir son offrande. À l’égard de Frédéric, je lui écrirai à ce sujet, puisque vous le désirez, et certainement je ne négligerai rien pour l’engager à se joindre à nous.

Je sais, mon cher maître, qu’on vous a écrit de Paris, pour tâcher d’empoisonner votre plaisir, que ce n’est point à l’auteur de la Henriade, de Zaïre, etc., que nous élevons ce monument, mais au destructeur de la religion. Ne croyez point cette calomnie ; et pour vous prouver, et à toute la France, combien elle est atroce, il est facile de graver sur la statue le titre de vos principaux ouvrages. Soyez sûr que madame du Deffant, qui vous a écrit cette noirceur, est bien moins votre amie que nous, qu’elle lit et applaudit les feuilles de Fréron, et qu’elle en cite, avec éloge les méchancetés qui vous regardent ; c’est de quoi j’ai été témoin plus d’une fois. Ne la croyez donc pas dans les méchancetés qu’elle vous écrit. Palissot avait fait une comédie intitulée le Satirique, dans laquelle il se déchirait lui-même à belles dents pour pouvoir déchirer à son aise les philosophes. Comme il a su qu’on le soupçonnait d’être l’auteur de la pièce, il a écrit les lettres les plus fortes pour s’en disculper ; la pièce a été refusée à la police, malgré la protection de votre ami M. de Richelieu, et pour lors Palissot s’en est déclaré l’auteur. Adieu, mon cher maître ; je n’ai pas la force d’en écrire davantage.


Paris, 23 juillet 1770.


Vous voulez savoir, mon cher maître, ce que je pense du Système de la nature ? Je pense comme vous qu’il y a des longueurs, des répétitions, etc., mais que c’est un terrible livre ; cependant je vous avoue que, sur l’existence de Dieu, l’auteur me paraît trop ferme et trop dogmatique, et je ne vois en cette matière que le scepticisme de raisonnable. Qu’en savons-nous, est, selon moi, la réponse à presque toutes les questions métaphysiques ; et la réflexion qu’il y faut joindre, c’est que, puisque nous n’en savons rien, il ne nous importe pas sans doute d’en savoir davantage. Le roi de Prusse vous a-t-il envoyé une réfutation qu’il a faite de ce livre ? À propos de ce prince, j’ai écrit il y a quinze jours, et de la manière la plus pressante, et peut-être la plus ef-