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honat, qui vous a, dit-on, envoyé des vers charmants ? serait-ce une descendante de Virgile Maron ?

Vous faites donc l’Encyclopédie à vous tout seul ? Vous avez bien raison de dire qu’on a employé trop de manœuvres à cet ouvrage, et qu’on y a mis trop de déclamation. En vérité, on est bien bon d’en avoir tant de peur, et de ruiner par ce motif de pauvres libraires. C’est un habit d’arlequin où il y a quelques morceaux de bonne étoffe, et trop de haillons. Bonjour, mon cher et illustre maître ; aimez-moi et portez-vous bien ; mes respects à madame Denis. Le chevalier de La Tremblaye est en peine de savoir si vous avez reçu, il y a quelques mois, les remerciements qu’il vous a faits au sujet, je crois, de vos œuvres que vous lui avez envoyées.


Paris, 9 mars 1770.


Nos lettres se sont croisées, mon cher et illustre maître. Vous avez dû voir, par la mienne, que si je ne vous ai pas répondu plus tôt, c’est que depuis six semaines j’ai l’honneur d’être imbécile ; plaignez-moi donc et ne me grondez pas. Tous nos amis communs sont témoins de mon tendre attachement pour vous ; aux sentiments de qui rendriez-vous justice, si vous ne la rendiez pas aux miens ?

Je verrai Panckoucke et je le tranquilliserai, si cependant un pauvre diable, qui a cent mille écus en papier sous un hangar à la Bastille, peut être dûment tranquillisé. Je ne comprends pas je vous l’avoue, pourquoi on veut empêcher de répandre, dans le royaume et en Europe, quatre mille exemplaires de l’Encyclopédie, lorsqu’il y en a déjà quatre mille de distribués.

On s’égorge donc dans Genève, Dieu merci, et ce n’est pas pour la consubstantialité ou consubstantiabilité du Verbe. À quoi pense l’orateur Vernet, de ne pas faire comme ce philosophe dont parle Tacite, d’aller se mettre entre les deux armées, bona pacis et belli mala disserens ; il y attraperait quelque coup de fusil ou de broche, et ce serait grand dommage.

Oui vraiment, je sais que vous êtes devenu capucin, et je vous fais mon compliment sur cette nouvelle dignité séraphique. Ne vous avisez pas au moins de vous faire jésuite, surtout en Bretagne, car ils y sont actuellement très mal menés, et on vient de les en chasser pour prix des troubles qu’ils y excitent depuis trois à quatre ans. Le roi de Prusse me mande qu’il est le meilleur ami du cordelier-pape, et que le successeur de Barjone le regarde, tout hérétique qu’il est, comme le soutien de sa garde prétorienne-ignatienne, que les autres majestés très chrétiennes