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temps entièrement de votre avis sur Athalie. J’ai toujours regardé cette pièce comme un chef-d’œuvre de versification, et comme une très belle tragédie de collège. Je n’y trouve ni action, ni intérêt ; on ne s’y soucie de personne, ni d’Athalie qui est une méchante carogne, ni de Joad qui est un prêtre insolent, séditieux et fanatique, ni de Joas même que Racine a eu la maladresse de faire entrevoir, en deux endroits, comme un méchant garnement futur. Je suis persuadé que les idées de religion dont nous sommes imbus des l’enfance contribuent, sans que nous nous en apercevions, au peu d’intérêt qui soutient cette pièce ; et que si on changeait les noms, et que Joad fût un prêtre de Jupiter ou d’Isis, et Athalie une reine de Perse ou d’Égypte, cette pièce serait bien froide au théâtre. D’ailleurs, à quoi sert toute cette prophétie de Joad, qu’à faire languir l’action qui n’est pas déjà trop animée ? Je crois en général, et je vais peut-être dire un blasphème, que c’est plutôt l’art de la versification, que celui du théâtre, qu’il faut apprendre chez Racine. J’en connais à qui je donnerais un plus grand éloge, mais ils n’ont pas l’honneur d’être morts.

On dit que vous êtes malade, mon cher ami, et on ajoute que vous avez du chagrin pour une cause qui me paraît bien juste. Je ne saurais croire que cette cause soit réelle ; si par malheur elle l’était, elle me rappellerait la belle tirade de la péroraison pro Milone, qui commence par ces mots : Hiccine vir patriæ natus, etc.

Le contrôleur-général est, dit-on, bien embarrassé pour trouver de l’argent ; Dieu le père n’en trouverait pas. Hippocrate, Esculape et toute l’École de médecine ne rétabliraient pas un malade qui se donnerait tous les jours, à dîner et à souper, une indigestion. Ce sera le cas de la France, tant qu’on n’y connaîtra pas l’économie. Adieu mon cher maître ; je vous embrasse de tout mon cœur. Mes respects à madame Denis.


Paris, 25 janvier 1770.


Mon cher confrère, mon cher maître, mon cher ami, je vous prie d’en croire mon tendre attachement pour vous ; soyez sûr qu’on ne vous a pas dit vrai sur la personne qu’on a accusée auprès de vous. Il est vrai qu’un de vos amis et des miens me dit, il y a environ trois ou quatre mois, avoir entendu quelques morceaux d’un poème intitulé : Michaut et Michel ; mais il ne m’en dit pas un seul vers, et n’ajouta absolument rien qui pût me faire connaître ou même me faire soupçonner l’auteur. Il est d’ailleurs trop de vos amis pour qu’il puisse jamais avoir à se