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féliciterez l’Espagne de les posséder, et vous nous souhaiterez des grands seigneurs semblables à ceux-là, au lieu de nos conseillers de la cour imbéciles et barbares, de nos danseuses et de notre Opéra-Comique. Sur ce, mon cher et ancien ami, je vous demande votre bénédiction, et je vous renouvelle les assurances de mon dévouement et de ma sensibilité pour tout ce qui peut vous intéresser.


Paris, 13 mai 1768.


Dieu m’est témoin, mon cher maître, combien j’ai été édifié du spectacle que vous avez donné le 3 d’avril dernier, bon jour bonne œuvre, en rendant vous-même le pain bénit, à la grande satisfaction de la Jérusalem céleste, et principalement des trônes, des dominations et des puissances qui, à ce que je me suis laissé dire, en sont fort contents, d’autant plus qu’on leur a assuré que le beurre en était bon. Il faut que le tigre aux yeux de veau aime la brioche, et vous devriez bien lui en envoyer, la première fois que vous réitérerez cette belle cérémonie ; car je sais qu’il cherche à se disculper des mauvais propos qu’on lui attribue. Ne vous y fiez pas trop pourtant ; car timeo Danaos et verba ferentes. Surtout engagez, si vous le pouvez, le nommé Chirol, ou le nommé Grasset, et leur compère Marc-Michel Rey, à ne pas imprimer tant de sottises qu’on a la platitude de mettre sur votre compte. S’il était permis de plaisanter sur un sujet aussi grave que le pain bénit, j’aurais répondu comme Pourceaugnac à toutes les sottises que j’ai entendu dire à ce sujet : Quel grand raisonnement faut-il pour manger un morceau ?

Si vous êtes enchanté de M. le marquis de Mora, il l’est bien davantage de vous ; et je vous manderais ce qu’il m’écrit à ce sujet, si je ne songeais que vous êtes en état de grâce, et que le chanoine de Saint-Bruno a été damné par un mouvement de vanité.

À propos d’Espagne, j’ai reçu, il y a quelque temps, une lettre excellente de votre ancien disciple sur l’affaire de Parme ; il me mande que le grand lama du Vatican ressemble à un vieux danseur de corde, qui, dans un âge d’infirmité, veut répéter ses tours de force, tombe et se casse le cou. Cette comparaison vaut mieux que toutes les écritures de Madrid, et de nos seigneurs du parlement de Paris sur ce beau sujet.

L’épigramme contre le janséniste La Bletterie est bien douce pour un orgueil aussi coriace que le sien ; ces gens-là sont comme les Russes qui ne sentent pas les croquignoles, et à qui il faut