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il y a quelques jours, et dont j’aurais bien voulu que vous eussiez été un des convives ; on y traita fort gaiement des matières très sérieuses, entre la poire et le fromage. Jean-Jacques n’est pas aussi gai ; il veut à présent retourner en Angleterre : il mande à M. Davenport (c’est le bon M. Hume qui me l’écrit) qu’il est le plus malheureux de tous les hommes, et qu’il désire de retourner avec lui ; M. Davenport y a consenti : ainsi l’Angleterre aura le bonheur de le posséder encore une fois, à condition que ce ne sera pas pour longtemps. M. Hume me mande, dans la même lettre, que ce pauvre fou travaille actuellement à ses Mémoires, dont le premier volume a été fait en Angleterre, et qui doivent en avoir treize ou quatorze (il ne me dit pas si c’est in-folio ou in-24) ; l’Histoire romaine n’en a pas tant. Il est vrai que ce qui regarde ce grand philosophe est absolument la nature entière pour lui, et je lui conseillerais d’intituler son bel ouvrage Histoire universelle, ou Mémoires de Jean-Jacques Rousseau. M. Hume, dans la même lettre où il parle de cet homme, me charge de le rappeler dans votre souvenir, et de vous assurer de tous ses sentiments et de son admiration pour vous. Il craint que vous ne soyez mécontent de ce qu’il n’a pas répondu à la lettre que vous lui avez écrite au sujet de Jean-Jacques : mais il m’assure qu’il n’a eu connaissance de cette lettre que par l’impression chez un libraire d’Écosse, où il l’a trouvée longtemps après qu’elle eût paru, et qu’il était trop tard pour y répondre ; d’autant plus qu’il n’avait aucune preuve que cette lettre lui fût réellement adressée par vous.

Adieu, mon cher et illustre confrère. M. de La Harpe, avec qui j’ai le plaisir de parler souvent de vous, pourra vous dire combien je vous suis attaché, et combien je suis vôtre à la vie et à la mort. Vale et me ama. L’affaire du pauvre Damilaville ne finit point ; cela n’est-il pas odieux ? vous devriez bien écrire à M. d’Ormesson, intendant des finances ; le succès de cette affaire dépend de lui. Iterum vale.


Paris, 18 février 1768.


Marmontel vient de me dire, mon cher et illustre maître, que vous vous plaignez de mon silence, et ce reproche m’afflige d’autant plus, que je ne crois pas l’avoir mérité. Il faut que vous n’ayez pas reçu une lettre que je vous ai écrite huit ou dix jours avant le départ de M. de La Harpe, c’est-à-dire il y a environ trois semaines, et depuis laquelle je n’en ai reçu aucune de vous ; ainsi vous voyez que, si je parais négligent, c’est la faute de la poste et non la mienne. Je vous parlais, dans cette lettre, d’un