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sottises vont dire à cette occasion tous les ennemis de la raison et des lettres ! les voilà bien à leur aise : car ils déchireront infailliblement ou Rousseau ou M. Hume, et peut-être tous les deux.

Pour moi, je rirai, comme je fais de tout, et je tâcherai que rien ne trouble mon repos et mon bonheur. Adieu, mon maître.

P. S. J’oubliais de vous dire un mot de Socin Vernet : j’en aurai soin ; ne vous mettez pas en peine. Cela ne m’empêche pas de vous le recommander. J’espère le rendre ridicule sous tous les méridiens.


Paris, 11 auguste 1766.


Il n’y a rien de nouveau que je sache, mon cher et illustre maître, sur l’atroce et absurde affaire d’Abbeville. On dit seulement, mais ce n’est qu’un ouï-dire, que le jeune Moisnel, qui était resté en prison et qui a seize ans, a été condamné par les Torquemada d’Abbeville à être blâmé : sur quoi je vous prierai d’abord d’observer la cruauté de ce jugement, qui déclare infâme un pauvre enfant digne tout au plus d’être fouetté au collège ; et puis de voir la singulière gradation du jugement que ces Busiris en robe, comme vous les appelez très bien, ont prononcé contre des jeunes gens, tous également coupables ; le premier brûlé vif, le second décapité, le troisième blâmé ; j’espère que le quatrième sera loué. Je ne veux plus parler de cette exécration qui me rend odieux le pays où elle s’est commise.

Vous saurez qu’il y a actuellement quatre-vingt-trois jésuites à Rennes, pas davantage, et que ces marauds, comme vous croyez bien, ne s’endorment pas dans l’affaire de M. de La Chalotais. Il est transféré à Rennes, et apparemment sera bientôt jugé. Son mémoire lui a concilié tout le public, et rend ses persécuteurs bien odieux. Laubardemont de Calonne surtout (car on l’appelle ainsi ) ne se relèvera pas de l’infamie dont il est couvert ; c’est ce que j’ai entendu dire aux personnes les plus sages et les plus respectables.

Une autre sottise, car nous sommes riches en ce genre, qui occupe beaucoup le public, c’est la querelle de Jean-Jacques et de M. Hume. Pour le coup Jean-Jacques s’est bien fait voir ce qu’il est, un fou et un vilain fou, dangereux et méchant, ne croyant à la vertu de personne, parce qu’il n’en trouve pas le sentiment au fond de son cœur, malgré le beau pathos avec lequel il en fait sonner le nom ; ingrat et, qui pis est, haïssant