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trouvé de toutes les platitudes dont on l’accuse, d’avoir passé devant une procession sans ôter son chapeau, d’avoir dit des grossièretés sur des burettes, d’avoir donné des coups de canne à un crucifix de bois, et autres sottises semblables. Je ne veux plus parler de tout cet auto-da-fé si honorable à la nation française, car cela me donne de l’humeur, et je ne veux que me moquer de tout.

Frère Mords-les est arrivé, il y a deux jours, enchanté du séjour qu’il a fait chez le respectable patriarche des Alpes. Il dit qu’il vous a trouvé plongé dans les lectures les plus édifiantes, entouré de Bibles et de Pères de l’Église, et qu’il vous a procuré un grand secours, celui d’une concordance de la Bible, ouvrage de génie, dont il dit que vous n’aviez jamais entendu parler. Pour moi, il y a longtemps que j’avais l’honneur de connaître cette rapsodie digne de Pasquier-Quesnel et de Pasquier tête de veau.

J’oubliais vraiment de vous parler d’une grande nouvelle ; c’est la brouillerie de Jean-Jacques et de M. Hume. Je me doutais bien qu’ils ne seraient pas longtemps amis ; le caractère féroce de Jean-Jacques ne le permettait pas : mais je ne m’attendais pas à la noirceur dont M. Hume l’accuse. Vous savez sans doute de quoi il s’agit. M. Hume a demandé une pension au roi d’Angleterre pour Rousseau, du consentement de ce dernier ; il l’a obtenue avec beaucoup de peine ; il s’est pressé de lui écrire cette bonne nouvelle ; Rousseau lui a répondu, en l’accablant d’injures, qu’il ne l’avait amené en Angleterre que pour le déshonorer, qu’il ne voulait ni de la pension du roi, ni de l’amitié de M. Hume, et qu’il renonçait à tout commerce avec lui. On peut dire de M. Hume, comme dans la comédie : Voilà un bourgeois bien payé de ses bons services. Ce qu’il y a de plus fâcheux pour Jean-Jacques, c’est que tous les gens raisonnables croiront M. Hume, quand il dira qu’il avait le consentement de Rousseau pour cette pension ; mais Rousseau le niera, et il trouvera aussi des gens qui le croiront ; car je gagerais bien qu’il n’a pas donné son consentement par écrit. Il paraît que son plan a été de laisser agir M. Hume, en lui donnant un simple consentement verbal, et de refuser ensuite la pension avec éclat, pour se faire des amis dans le parti de l’opposition ; se mettant peu en peine de compromettre M. Hume envers le roi et envers la nation, pourvu que Jean-Jacques ait des partisans et fasse parler de lui. Le bon M. Hume dit avoir des preuves que depuis deux mois Rousseau méditait de lui jouer ce tour.

Il se prépare à donner toute cette histoire au public. Que de