donner un dégoût qu’il n’ose pourtant consommer. Il vient d’écrire à l’Académie des Sciences pour lui demander une seconde fois son avis, qu’elle lui a déjà donné sans qu’il le lui demandât. On dit même que c’est cela en partie qui l’a piqué. L’Académie doit lui répondre demain : enfin il faut espérer que cela finira. Le roi de Prusse me presse de nouveau très vivement ; mais, avec quelque indignité que la cour me traite, Paris m’a si bien vengé de Versailles, pendant ma maladie, que j’aimerais mieux être magister de Chaillot ou de Vaugirard, que président de la plus brillante académie étrangère. Je ne m’attendais pas, je l’avoue, à l’intérêt que le public m’a témoigné en cette occasion, et mes amis même ont été au-delà de ce que je pouvais désirer. Je puis dire qu’à quelque chose le malheur est bon, puisqu’il m’a fait voir que j’avais en France de la considération et des amis. Me voilà cloué pour jamais à cette barque ou galère, comme vous voudrez l’appeler, à moins que quelque sous-pilote ne veuille me noyer, auquel cas,
Je me sauve à la nage, et j’aborde où je puis.
Adieu, mon cher et illustre maître ; vous avez eu, et peut-être vous avez encore mademoiselle Clairon. Elle a été encore plus maltraitée que moi ; mais on a besoin d’elle, et on ne se soucie guère de moi ; on la cajolera pour la ramener ; elle succombera peut-être et j’en serai fâché pour elle. Je voudrais qu’on, apprît une bonne fois dans ce pays-ci à respecter les talents dont on a besoin pour son plaisir ou pour son instruction, et à ne pas croire qu’après les avoir outragés et avilis, on les regagne par des caresses. Je suis fâché de vous l’avouer, mon cher et illustre maître ; mais pourquoi n’épancherais-je pas mon cœur avec vous ? vous avez un peu gâté les gens qui nous persécutent. J’avoue que vous avez eu besoin plus qu’aucun autre de les ménager, et que vous avez été obligé d’offrir une chandelle à Lucifer pour vous sauver de Belzébuth ; mais Lucifer en est devenu plus orgueilleux, sans que Belzébuth en ait été moins méchant. Conservez-vous néanmoins pour la bonne cause, dussiez-vous brûler encore à regret quelque petit bout de chandelle devant ces idoles que vous connaissez, Dieu merci, pour ce qu’elles sont.
Parlons de choses un peu moins tristes. Savez-vous que je vais être sevré ? À quarante-sept ans, ce n’est pas s’y prendre de trop bonne heure. Je sors de nourrice où j’étais depuis vingt-cinq ans ; j’y prenais d’assez bon lait, mais j’étais renfermé dans un cachot où je ne respirais pas, et je sens que l’air m’est absolument nécessaire ; je vais chercher un logement où il y en ait. Il