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désirer. Il est évident, comme je vous l’ai dit, que cette production de ténèbres est l’ouvrage ou d’un diable en trois personnes, ou d’une personne en trois diables. À vous parler sérieusement, je ne m’aperçois pas, comme je vous l’ai dit, que cette abomination alphabétique cause autant de scandale que vous l’imaginez, et je ne vois personne tenté de s’arracher l’œil à cette occasion, comme l’Évangile le prescrit en pareil cas. D’ailleurs les pédants à grand rabat, les seuls à craindre en cette circonstance, sont allés voir leurs confrères les dindons, et quand ils reviendront de leurs chaumières, le mal sera trop vieux pour s’en occuper. Ils n’ont rien dit à Saül ; que diantre voulez-vous qu’ils disent à Dubut ?

Vous me faites une querelle de Suisse que vous êtes, au sujet du Dictionnaire de Bayle ; premièrement, je n’ai point dit : Heureux s’il eût plus respecté la religion et les mœurs ! ma phrase est beaucoup plus modeste ; mais d’ailleurs qui ne sait que, dans le maudit pays où nous écrivons, ces sortes de phrases sont style de notaire, et ne servent que de passe-port aux vérités qu’on veut établir d’ailleurs ? personne au monde n’y est trompé, et vous me cherchez là une mauvaise chicane. Je trouverais, si je voulais, à peu près l’équivalent de ce que vous me reprochez dans plusieurs ouvrages où assurément vous ne le désapprouvez pas, et jusque dans le dictionnaire même de Dubut, quelque infernal qu’il vous paraisse ainsi qu’à moi. Adieu, mon cher confrère ; soyez tranquille ; comptez que je vais braire comme un âne, mais à condition que vous ne me reprocherez pas d’avoir pris des précautions pour empêcher les ânes de braire après moi. Vale.


Paris, 3 janvier 1765.


Je ne vous le dissimule point, mon cher maître, vous me comblez de satisfaction par tout ce que vous me dites de mon ouvrage. Je le recommande à votre protection, et je crois qu’en effet il pourra être utile à la cause commune, et que l’infâme, avec toutes les révérences que je fais semblant de lui faire, ne s’en trouvera pas mieux. Si j’étais comme vous assez loin de Paris, pour lui donner des coups de bâton, assurément ce serait de tout mon cœur, de tout mon esprit et de toutes mes forces, comme on prétend qu’il faut aimer Dieu ; mais je ne suis posté que pour lui donner des croquignoles, en lui demandant pardon de la liberté grande, et il me semble que je ne m’en suis pas mal acquitté. Puisque vous voulez bien veiller à l’impression, je vous prie de faire main basse sur tout ce qui vous paraîtra long