Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, V.djvu/132

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

George-Dandin : J’enrage de bon cœur d’avoir tort lorsque j’ai raison. Après tout, l’essentiel est pourtant d’avoir raison ; cela est de précepte, et la politesse n’est que de conseil. L’éclaircissement, comme dit la comédie, nous éclaircira sur la sensation que produira cet ouvrage. En attendant, riez, ainsi que moi, de toutes les espèces de fanatiques, loyolistes, médardistes, homéristes, cornélistes, racinistes, etc. ; ayez soin de vos yeux et de votre santé ; aimez-moi comme je vous aime, et écrivez-moi quand vous n’aurez rien de mieux à faire ; mais surtout laissez ce Crévier en repos. Quand les généraux sont bien battus, comme Jean-George et Simon son frère, les goujats doivent obtenir l’amnistie. Adieu, mon cher maître ; il faut que je respecte bien peu votre temps pour vous étourdir de tant de balivernes.


Paris, 6 avril 1764.


Je vous dois une réponse depuis longtemps, mon cher et illustre maître ; et il y a plus de quinze jours que vous l’auriez, si je n’en avais été empêché par un débordement de bile, non pas au moral et au figuré (quoiqu’en vérité ce monde si parfait en vaille bien la peine), mais au propre et au physique, et presque aussi abondamment que Palissot vient d’en verser dans sa Dunciade. Avez-vous lu ce joli ouvrage, ou plutôt avez-vous pu le lire ? il faut avouer que de pareils écrivains font bien de l’honneur à leurs Mécènes. Ce qu’il y a de plaisant, c’est que l’auteur, pour avoir représenté, dans sa pièce des Philosophes, de très honnêtes gens comme des cartouchiens, a été loué à la cour, protégé, récompensé. Il s’avise, dans sa Dunciade, de dire que Crévier est un âne ; Crévier, vieux janséniste, se plaint au parlement ; le parlement veut mettre Palissot au pilori ; et les protecteurs de Palissot le font exiler, pour le soustraire au parlement ; on le traite avec la même faveur que l’archevêque de Paris. Dites après cela que les lettres ne sont pas favorisées. Quant à moi, j’en suis fort content ; et si je fais jamais une Dunciade, je me flatte d’en être quitte aussi pour quelques mois d’absence ; mais je ne ferai point de Dunciade, ou si j’avais le malheur d’en faire une, ce ne serait ni M. Blin, ni M. du Rosoi, ni M. Sabatier, ni M. Rochon, ni même M. Fréron que j’y mettrais, ce serait des noms plus illustres.

Laissons toutes ces infamies, et parlons d’Olympie. Je vous félicite de ce grand succès. Vous y avez fait des changements heureux. Le rôle de Statira et celui de l’hiérophante sont beaux, celui de Cassandre a des moments de chaleur qui intéressent,