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la presse, la religion et la coucherie sont également libres en France.

Venons à présent aux reproches. J’ai entendu parler d’un Traité de la Tolérance, qui est aussi d’un de vos amis, à ce qu’on m’assure, et qui ne vient pas de Philadelphie ; je demande cet ouvrage à tout ce que je vois, comme Iphigénie demande Achille, et je ne puis parvenir à l’avoir, et j’apprends que votre ami l’a envoyé à des gens qu’il ne devrait pas tant aimer que moi, et qui, sans me vanter, ne sont pas aussi dignes que moi de lire tout ce qui vient de lui. Dites, je vous prie, à votre ami qu’il n’est pas trop équitable dans ses préférences. Je pourrais faire là-dessus un long commentaire ; mais les commentaires ne sont pas faits pour l’ami dont je parle ; je m’en rapporte à ceux qu’il fera lui-même.

Voilà donc enfin Marmontel de l’Académie. J’en suis d’autant plus charmé que la querelle qu’on lui faisait au sujet de M. d’Aumont n’était qu’un prétexte pour ceux qui désiraient de l’exclure. La véritable raison était sa liaison avec des gens qu’on a pris fort en haine, je ne sais pas pourquoi, à quatre lieues d’ici ; en un mot, avec les philosophes qui font aujourd’hui également peur aux dévots et à ceux qui ne le sont pas. L’affaire de Marmontel était comme celle des jésuites ; il y avait une raison apparente qu’on mettait en avant, et une raison vraie que l’on cachait. Heureusement pour la philosophie, tous les gens faits pour la craindre n’ont pas pensé de même. M. le prince Louis de Rohan, tout coadjuteur qu’il est de l’évêché de Strasbourg, a bien voulu en cette occasion être le coadjuteur de la philosophie, et lui a rendu, sans manquer à son état, tous les services imaginables ; c’est par lui que vous avez aujourd’hui dans l’Académie Française un partisan et un admirateur de plus. M. le prince Louis mérite en vérité la reconnaissance de tous les gens de lettres, par la manière dont il sait les défendre et les servir dans l’occasion ; et quand vous l’auriez préféré à moi, comme vous avez fait d’autres, pour lui envoyer l’ouvrage de votre ami sur la tolérance, bien loin de vous en faire des reproches, je vous en ferais des remerciements. Il faut, mon cher maître, que chacun de nous serve la bonne cause suivant ses petits moyens. Vous la servez de votre plume, et moi, à qui on n’en laisserait pas une sur le dos, si j’en faisais autant, je tâche de lui gagner des partisans dans le pays ennemi ; et ces partisans ne seront point compromis, parce qu’ils ne doivent jamais l’être ; mais ils recevront de moi, de tous mes amis, et ils devraient recevoir de vous le tribut de reconnaissance que tous les êtres pensants leur doivent. À pro-